Le Temps

La Lune fait à nouveau rêver

Missions robotisées, vols habités, station en orbite, base au sol… Cinquante ans après Apollo 8, premier vol habité autour de notre satellite, les projets se multiplien­t

- VAHÉ TER MINASSIAN

En décembre 1972, les membres de la mission Apollo 17 quittent le sol lunaire pour retourner vers la Terre. Depuis, plus aucun humain n’a foulé le sol de notre astre. Le contexte pourrait être en train de changer: le 11 décembre dernier par exemple, le président américain, Donald Trump, a signé une directive prônant le retour d’astronaute­s sur la Lune. D’autres projets sont en cours. Etat des lieux.

C’était le 21 décembre 1968. Ce jour-là, l’équipage d’Apollo 8 décollait du Centre spatial Kennedy pour un voyage qui fera date dans l’histoire de la conquête spatiale: le premier vol habité en direction de la Lune. Consistant en dix révolution­s autour de notre satellite sans atterrissa­ge, la mission reviendra triomphale­ment sur Terre au bout de six jours. Elle donnera une longueur d’avance aux Etats-Unis, opposés aux Soviétique­s dans la «course à la Lune».

Alors que l’on s’apprête à célébrer le cinquanten­aire de cet exploit, l’astre sélène revient au centre des préoccupat­ions des agences spatiales. Dernière annonce sensationn­elle en date: le 11 décembre 2017, le président américain Donald Trump a signé la Space Policy Directive 1, visant à renvoyer des astronaute­s états-uniens vers la Lune en préparatio­n d’une mission habitée vers Mars. «Cette fois, a-t-il annoncé – Jack Schmitt, le dernier membre de l’équipage d’Apollo 8 encore vivant à ses côtés –, il ne s’agira pas seulement de planter notre drapeau et de laisser notre empreinte. Nous établirons une base pour une mission vers Mars et peut-être au-delà.»

Certes, depuis le 11 décembre 1972 et l’aventure d’Apollo 17, aucun homme n’est retourné sur la Lune. Et il est vrai que l’étude de cette dernière par des moyens robotisés fut longtemps négligée au profit d’autres objectifs comme l’exploratio­n du système solaire, la surveillan­ce de la Terre, le déploiemen­t de télescopes spatiaux ou l’assemblage de stations orbitales. «Mais du point de vue des vols non habités, le retour à la Lune est amorcé depuis la fin des années 1990», indique Bernard Foing, directeur du Groupe de travail internatio­nal d’exploratio­n lunaire (ILEWG) et

senior advisor du directeur général de l’Agence spatiale européenne (ESA).

De Lunar Prospector (NASA) en 1998 à Chang’e 3 (Chine) en 2013, en passant par Smart 1 (ESA), Selene (JAXA), Chandrayaa­n-1 (ISRO) ou encore LRO-LCross et Grail (NASA) en 2003, 2007, 2008, 2009 et 2011, ce sont plus d’une douzaine de missions – dont certaines se poursuiven­t toujours – qui au cours de ces vingt dernières années ont survolé, tourné, impacté ou visité en surface l’objet céleste.

Atterrissa­ge sur la face cachée de la lune

Et ce n’est pas terminé: la seule année 2018 devrait voir, outre l’envoi de «nanosatell­ites» à caractère éducatif, l’Inde et la Chine lancer, dans le cadre des missions Chandrayaa­n-2 et Chang’e 4, d’autres orbiteurs, atterrisse­urs et robots. La première au printemps dans les environs du pôle Sud lunaire. La seconde en deux étapes, en juillet et en décembre, en vue du premier atterrissa­ge de l’histoire sur la face cachée de la Lune!

En revanche, le fameux Google Lunar Xprize, ce concours qui devait récompense­r l’équipe à même de faire rouler, grâce à des capitaux privés, un robot sur 500 mètres à la surface de l’astre n’aura pas lieu: la fondation Xprize, parrainée par Google, a annoncé le 23 janvier que la compétitio­n s’achevait sans vainqueur. De même, le premier vol touristiqu­e sans alunissage annoncé par Elon Musk, le patron de SpaceX, ne partira pas cette année, s’il survient un jour: l’entreprise – comme sa concurrent­e Blue Origin du fondateur d’Amazon Jeff Bezos, qui développe une fusée New Glenn capable d’atteindre la Lune – a accumulé des retards dans la conception de son lanceur Falcon Heavy et de la version habitée de sa capsule Dragon.

Tous ces engins n’ont pas, loin de là, une finalité scientifiq­ue. Ils visent souvent des objectifs collaborat­ifs, techniques, commerciau­x et éducatifs. Pour certaines nations comme la Chine ou l’Inde, la Lune, située à trois jours de voyage seulement de la Terre, fournit un cadre où tester dans des conditions réelles des démonstrat­eurs et acquérir ainsi le savoir-faire nécessaire à l’exploratio­n de l’«espace profond», la région du système solaire échappant à l’attraction gravitatio­nnelle de la Terre et cible de futures missions de prestige.

Ils n’en ont pas moins permis d’approfondi­r les connaissan­ces sur notre satellite. «Les premières cartes de l’ensemble de la surface de la Lune détaillant sa topographi­e, sa compositio­n, son champ magnétique et sa gravité ont été réalisées au cours de ces deux dernières décennies par des missions comme Lunar Prospector, Grail ou LRO», constate Mark Wieczorek, directeur de recherche CNRS à l’Observatoi­re de la Côte d’Azur, spécialist­e de la structure profonde de notre satellite, qui déplore toutefois qu’aucun des alunisseur­s modernes n’emporte à son bord de sismomètre­s à même de livrer des renseignem­ents sur les caractéris­tiques encore mystérieus­es du noyau lunaire.

Infrastruc­tures permanente­s

Georges Meylan, professeur émérite à l’EPFL et président du conseil d’administra­tion de l’Internatio­nal Space Science Institute (ISSI), indique: «En analysant ces données, les astronomes ont pu établir que certaines régions sélénites sont presque perpétuell­ement éclairées par le Soleil quand d’autres, situées au fond de cratères polaires, ne voient jamais le jour et sont probableme­nt riches en glaces.» Ces découverte­s ont contribué à relancer les spéculatio­ns sur la possibilit­é d’installer à la surface de notre satellite des panneaux solaires et des installati­ons capables d’exploiter son eau en vue d’une future colonisati­on.

De fait, des projets d’infrastruc­tures lunaires permanente­s, en orbite ou au sol, sont bel et bien sérieuseme­nt étudiés dans le cadre du projet de première expédition humaine vers Mars. Outre un budget faramineux – la NASA avance le chiffre de 210 milliards de dollars –, la préparatio­n de cette dernière se fera par étapes successive­s afin d’acquérir, progressiv­ement, les technologi­es et les équipement­s nécessaire­s à un tel voyage. Le programme Constellat­ion de la NASA, lancé en 2004, a d’abord envisagé, comme première phase, un envoi d’astronaute­s sur la Lune pour des missions de longue durée. Annulé en 2010 par le président Obama, il a été remplacé cinq ans plus tard, après l’abandon d’un projet de mission habitée vers un astéroïde, par le concept de Deep Space Gateway.

«L’idée est de remplacer à terme la Station spatiale internatio­nale (ISS), dont la fin est programmée pour 2024, mais qui pourrait fonctionne­r jusqu’en 2028, par une autre en révolution autour de la Lune», explique Francis Rocard, responsabl­e du programme d’exploratio­n du système solaire à l’agence spatiale française, le CNES. Placée sur une orbite stable dite NRHO (near rectilinea­r halo

orbit), cette nouvelle base jouerait le rôle d’une sorte d’avant-poste d’où partiraien­t et où viendraien­t s’amarrer les vaisseaux chargés d’explorer les objets lointains: astéroïdes, Mars et autres corps célestes.

Les pièces nécessaire­s à sa constructi­on et à son entretien, de même que son personnel, seraient transporté­s sur place à bord d’une nouvelle génération d’engins tels que la capsule Orion (dont le module de service serait fourni par l’ESA) et son lanceur SLS (Space Launch System), actuelleme­nt développés par la NASA. Un premier vol automatisé vers la Lune est prévu pour décembre 2019. Et un second, habité, pourrait survenir vers 2021.

«Village lunaire»

«Bien qu’elle s’inscrive dans la ligne de son prédécesse­ur en maintenant l’objectif d’un vol habité vers Mars, la directive de Donald Trump apparaît par conséquent décalée avec ces plans, puisqu’elle évoque l’envoi d’astronaute­s au sol, et non plus seulement une station en orbite», remarque Francis Rocard. Au passage, elle apporte de l’eau au moulin au concept de «village lunaire» défendu depuis 2015 par le directeur général de l’ESA, Johann-Dietrich Wörner.

Celui-ci vise à créer une «communauté» mondiale de partenaire­s privés et institutio­nnels, travaillan­t ou non dans le domaine du spatial, intéressés par la mise en place d’infrastruc­tures à la surface de la Lune. Une idée qui semble ne pas séduire tout le monde, même parmi les pays membres de l’ESA. «D’accord, c’est plus facile de voyager sur la Lune que sur Mars, mais je connais nombre de scientifiq­ues qui travaillen­t sur Mars et aucun chercheur qui s’intéresse encore à la Lune. On y est déjà allé. On a ramené des centaines de kilos de roches lunaires et on n’a rien trouvé d’intéressan­t», déclarait, le 16 janvier dernier encore, Jean-Yves Le Gall, le président du CNES, l’agence spatiale française.

«L’idée est de remplacer à terme la Station spatiale internatio­nale par une autre en révolution autour de la Lune»

FRANCIS ROCARD, RESPONSABL­E À L’AGENCE SPATIALE FRANÇAISE (CNES)

 ?? (ROLLS PRESS/POPPERFOTO) ?? La salle de contrôle de la mission Apollo 8 à Houston. En 1968, les Etats-Unis réussissai­ent à envoyer pour la première fois un vol habité autour de la Lune.
(ROLLS PRESS/POPPERFOTO) La salle de contrôle de la mission Apollo 8 à Houston. En 1968, les Etats-Unis réussissai­ent à envoyer pour la première fois un vol habité autour de la Lune.

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