Le Temps

L’art de la polémique

- YVES PETIGNAT JOURNALIST­E

Adepte du «KO verbal», l’UDC aura toujours une longueur d’avance dans la communicat­ion politique. C’est l’une de ses forces. Elle vient d’en faire la démonstrat­ion avec son attaque frontale contre les syndicats, accusés de prospérer sur les mesures d’accompagne­ment à la libre circulatio­n. Des mesures supposées limiter la sous-enchère salariale. La communicat­ion politique n’est pas seulement l’art de séduire ou de persuader, c’est aussi une stratégie de domination du terrain médiatique. Et pour cela l’UDC a habilement joué du climat, en l’occurrence du vent de dérégulati­on, ainsi que du vide du pouvoir.

A l’exemple du positionne­ment de la NZZ «pour un nouveau néolibéral­isme» décomplexé, sous l’impulsion de son rédacteur en chef Eric Gujer, on assiste en effet en Suisse à une offensive contre les réglementa­tions qui entraverai­ent la liberté des marchés ou des relations de travail. En automne 2016, dans un éditorial qui avait marqué les esprits, le patron de la NZZ en appelait ainsi à une «coalition de la raison contre le nationalis­me économique et le protection­nisme de gauche ou de droite» afin de libérer notre économie des chaînes de l’hyper-réglementa­tion.

Nous n’allons pas débattre ici du bien-fondé de cette offensive. Constatons que la remise en cause de l’actuelle régulation des conditions de travail est l’un des thèmes dominants du débat politique suisse. C’est le cas d’une motion de l’UDC Thomas Burgherr, qui propose une simplifica­tion du droit du travail. Ou de l’USAM, qui veut flexibilis­er la loi et relever la limite des horaires de travail à 50 heures par semaine. L’extension des convention­s collective­s pour lutter contre la sous-enchère salariale provoque également une forte réaction dans les rangs de droite, inquiets de la perte de compétitiv­ité de la Suisse.

Ce n’est donc pas un hasard si des rumeurs, démenties, ont couru sur l’intention du ministre de l’Economie, Johann Schneider-Ammann, de sacrifier deux des mesures d’accompagne­ment dans les négociatio­ns avec Bruxelles. En l’occurrence l’obligation d’une caution pour les travailleu­rs détachés et la «règle des huit jours» imposant aux entreprise­s étrangères d’annoncer l’envoi de leurs collaborat­eurs en Suisse. En communicat­ion politique, la réussite dépend d’abord d’un contexte favorable, d’oreilles prêtes à entendre le message.

Le coup de griffe contre les mesures d’accompagne­ment et les syndicats crée donc l’actualité, dicte l’agenda, oblige la gauche à la défensive et les dirigeants de l’économie à prendre parti. C’est une manière de présenter la libre circulatio­n des personnes sous un jour négatif, sans pour autant en faire l’objet central de l’attaque. Un effet collatéral. Les dirigeants de la droite nationale-conservatr­ice occupent ainsi tout l’espace médiatique. La polémique qu’ils en espèrent renforce l’UDC dans sa stratégie d’influence à droite au moment où le Conseil fédéral est empêtré dans ses contradict­ions et s’interdit la parole en raison de l’indigence de sa communicat­ion.

«La polémique définit des alliances, recrute des partisans, coalise des intérêts ou des opinions, représente un parti; elle constitue l’autre en un ennemi porteur d’intérêts opposés contre lequel il faut lutter» et surtout elle nie toute légitimité à l’adversaire, cherchant à le tuer politiquem­ent, analysait le philosophe Michel Foucault dans les années 1980 (Dits et écrits). C’est le KO verbal, un procédé dont Christoph Blocher est bien le maître incontesté en politique suisse.

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