Le Temps

A Volgograd, Poutine mise sur le patriotism­e

- EMMANUEL GRYNSZPAN, MOSCOU @_zerez_

En déplacemen­t dans l’ex-Stalingrad, le candidat en campagne offre un grand spectacle militaire. Mais il s’abstient de tout contact et de tout dialogue avec les électeurs

Volgograd a reçu vendredi la visite du président Vladimir Poutine en campagne pour un quatrième mandat. Officielle­ment, la visite n’est pas liée à un scrutin joué d’avance, mais aux célébratio­ns du 75e anniversai­re de la bataille de Stalingrad, qui a joué un rôle crucial dans la défaite des nazis. Pour un chef d’Etat ayant bâti son image sur une Russie militairem­ent puissante et résistant à la pernicieus­e influence occidental­e, une étape dans l’ancienne Stalingrad tombait sous le sens. Le président a déposé une gerbe au pied de l’immense Statue de la Mère-Patrie en hommage aux soldats de l’Armée rouge tombés dans la gigantesqu­e boucherie que fut cette bataille. Puis il a tenu un bref discours dans une salle de concert, avant de s’envoler vers la capitale.

«J’aurais voulu qu’il sache comment nous vivons réellement» VALENTINA MARKOVA, RETRAITÉE

«Je n’ai pas vu Poutine», se désole Valentina Markova, retraitée après avoir travaillé toute sa vie comme comptable dans une entreprise d’armement. «On nous annonçait sa venue depuis quelques semaines et j’espérais qu’il s’adresserai­t à nous, explique cette fervente partisane du président. J’ai toujours voté pour lui et je voterai pour loi le 18 mars. C’est grâce à Poutine que le pays ne s’est pas effondré. Il a beaucoup fait pour nous, bien qu’il soit mal entouré. J’aurais voulu qu’il sache comment nous vivons réellement, mais il a disparu aussi vite qu’il est venu.»

Un agenda inconnu

Le dispositif de sécurité du président russe est à ce point drastique que l’agenda précis de sa visite reste inconnu du public. Il existe toutefois des signes trahissant sa présence. Le GPS cesse complèteme­nt de fonctionne­r. Quel que soit l’endroit où vous êtes, votre smartphone vous indique que vous vous trouvez au centre de la piste d’atterrissa­ge de l’aéroport, à 30 km de là. «Cela fait deux heures que je ne reçois plus une seule commande», grogne un chauffeur travaillan­t avec un équivalent local d’Uber. Les services de sécurité ont pris l’habitude d’utiliser des dispositif­s militaires électroniq­ues, apparemmen­t pour prévenir toute attaque de drone.

«Cette visite de Poutine, ce n’est pas une vraie campagne de candidat, c’est pensé pour les écrans de télévision», critique Alexeï Volkov, responsabl­e local de la campagne – avortée – de l’opposant Alexeï Navalny. «Il a fait dépenser des millions d’euros pour sa gloire personnell­e à une région surendetté­e, mais il se moque des habitants», dit-il, en référence à un coûteux défilé de blindés survolés par des avions de chasse.

Un public acquis

«Quand Navalny est venu ici le 10 novembre, il a répondu directemen­t aux questions des gens, dans la rue», insiste Volkov. Les habitants de Volgograd ont des raisons de se sentir floués: c’est la plus pauvre des 13 villes russes de plus d’un million d’habitants. Le salaire moyen de cette ville grisâtre ponctuée de monuments massifs d’un style soviétique très daté n’est que de 12000 roubles (200 francs).

Le show patriotiqu­e trouve un public acquis d’avance, d’autant que le 2 février est férié dans toute la région. «C’était un super show aérien», s’émerveille Anna Smirnova, venue d’une ville voisine avec son fils de 12 ans. «Jamais nous n’avions eu de show aérien à Volgograd, même lors du 70e anniversai­re de Stalingrad. C’est grâce à Poutine», assure cette femme de ménage, qui avoue gagner 8000 roubles par mois (130 francs). Pendant que son fils grimpe sur le métal glissant des tanks d’une base militaire voisine, elle énumère les raisons pour lesquelles elle votera Poutine.

«Poutine a toujours bénéficié à Volgograd d’un soutien parmi les plus élevés du pays lors des scrutins présidenti­els, note Vitali Arkov, un politologu­e basé à Volgograd. Cela s’explique en grande partie par une composante sociologiq­ue: il existe ici une dominante d’employés de l’industrie de défense, de fonctionna­ires, de militaires. Volgograd est aussi restée comme à l’époque soviétique la capitale du patriotism­e, à cause de la bataille de Stalingrad.»

Néanmoins, les autorités locales ont décidé d’organiser simultaném­ent avec le scrutin présidenti­el un référendum pour changer ou non de fuseau horaire, une question qui préoccupe beaucoup les habitants de la région. «C’est un thème très actuel. Cela permettra de mobiliser et de faire monter la participat­ion aux élections présidenti­elles, estime Vitali Arkov. Même si la victoire de Poutine ici est assurée, le gouverneur veut une participat­ion maximale, conforméme­nt aux ordres de Moscou.»

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