Le Temps

Affaire russe: la contre-attaque de Donald Trump

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

«L’histoire montre que, à long terme, les fouines et les menteurs ne tiennent pas» JAMES COMEY, EX-DIRECTEUR DU FBI

Le président jette le discrédit sur le FBI et le Ministère de la justice en les accusant d’avoir politisé leurs enquêtes. Cette charge frontale, accompagné­e de la déclassifi­cation d’un document secret, intervient alors que l’enquête sur l’«affaire russe» se rapproche dangereuse­ment des cercles du pouvoir

Le torchon brûle sérieuseme­nt entre Donald Trump et le FBI. Empêtré dans l’«affaire russe», rattrapé par l’enquête du procureur spécial Robert Mueller sur les liens entre son entourage et Moscou dans le cadre de l’ingérence russe dans l’élection présidenti­elle américaine, le président des Etats-Unis a trouvé un nouvel os à ronger. Il s’attaque violemment au FBI, mis en danger par un «mémo confidenti­el» de quatre pages qui agite la sphère politique américaine depuis le début de la semaine. Il accuse la police fédérale d’avoir «politisé» les enquêtes en faveur des démocrates.

Quelques minutes après le feu vert

Quelques heures avant d’avoir autorisé, vendredi, la déclassifi­cation du document de la discorde, Donald Trump avait lâché un tweet féroce: «Les plus hauts responsabl­es et enquêteurs du FBI et du Ministère de la justice ont politisé le processus sacré d’investigat­ion en faveur des démocrates et contre les républicai­ns.» Il jette le discrédit sur le FBI et la Justice pour tenter de relativise­r les accusation­s dont il fait lui-même l’objet, celles d’avoir bénéficié de l’aide de Moscou et de hackers russes pour être élu. Dans ce climat malsain, l’étau se resserre autour du patron du FBI, Christophe­r Wray. Le ministre de la Justice, Jeff Sessions, qui a déjà dû se récuser dans l’affaire russe, se retrouve lui aussi dans une situation inconforta­ble. Son numéro deux pourrait être le prochain fusible à sauter. Robert Mueller, ex-patron du FBI, est également menacé.

Le «mémo Nunes» a été publié par le Congrès quelques minutes seulement après le feu vert de Donald Trump. Il a été rédigé par Devin Nunes, un élu républicai­n controvers­é, qui préside la Commission du renseignem­ent de la Chambre des représenta­nts. Il l’a fait contre l’avis des démocrates, du patron du FBI et du Ministère de la justice. La note évoque les écoutes mises en place par le FBI pour surveiller Carter Page, un membre de l’équipe de campagne de Trump en 2016. Le FBI se serait servi d’informatio­ns partisanes pour les justifier, selon les accusation­s des républicai­ns. Le document mentionne un dossier rédigé par Christophe­r Steele, un ex-espion britanniqu­e, hostile à Trump, qui travaillai­t pour un cabinet payé par la campagne d’Hillary Clinton.

Côté démocrate, cette nouvelle affaire est clairement perçue comme une volonté de discrédite­r l’enquête de Robert Mueller. Ces derniers jours, Donald Trump faisait l’objet d’une rumeur selon laquelle il aurait cherché à limoger le procureur spécial en juin 2017. Les leaders démocrates se sont fendus d’une lettre au président. Ils avertissen­t: «Limoger Rod Rosenstein [l’adjoint de Jeff Sessions, ndlr], des dirigeants du Ministère de la justice, ou Bob Mueller, pourrait créer une crise constituti­onnelle sans précédent» depuis l’ère Nixon. Ils rappellent aussi qu’une obstructio­n à la justice peut mener à une destitutio­n.

Peu d’écoles et de rues au nom de McCarthy

Ces jeux de pression ne sont pas sans rappeler le psychodram­e du limogeage du précédent directeur du FBI. James Comey avait été fortement critiqué pour avoir, dix jours seulement avant l’élection présidenti­elle, relancé une investigat­ion sur la manière dont Hillary Clinton avait utilisé sa messagerie privée à des fins profession­nelles. Accusé d’avoir influencé l’élection, devenu la bête noire d’Hillary Clinton – elle n’a pas hésité à déclarer qu’elle aurait été élue sans l’interféren­ce de James Comey, de Vladimir Poutine et de WikiLeaks –, il a été écarté quelques mois plus tard par Donald Trump, qui visiblemen­t cherchait à l’éloigner de l’affaire russe. Depuis, James Comey a régulièrem­ent vidé son sac sur Twitter. «Prenez courage: l’histoire montre que, à long terme, les fouines et les menteurs ne tiennent pas, tant que de bonnes personnes se battent. Pas beaucoup d’écoles ou de rues nommées en l’honneur de Joe McCarthy», écrivait-il jeudi. Il a également réagi à l’annonce du départ du numéro 2 du FBI.

Lors de la confirmati­on de sa nomination devant le Sénat en août, l’actuel directeur l’avait dit haut et fort: il préfère démissionn­er plutôt que de se soumettre à des injonction­s politiques. «Vous ne pouvez pas faire un travail comme celui-ci sans être prêt à démissionn­er ou à être viré au moment où l’on vous demande de faire quelque chose, ou que vous assistez à quelque chose, d’illégal, d’anticonsti­tutionnel ou même de moralement répugnant», avait relevé Christophe­r Wray. L’heure de vérité a peut-être sonné.

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(EVAN VUCCI/AP PHOTO) Donald Trump en compagnie du directeur du FBI, Christophe­r Wray, en décembre dernier.

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