Le Temps

«Quartier des banques», emplois en série

Les producteur­s de la série télévisée nous ont ouvert leurs comptes. Indirectem­ent, l’argent de la redevance a généré du travail pour tout un réseau de profession­nels. Les initiants de «No Billag» ne sont pas impression­nés

- DAVID HAEBERLI @David_Haeberli

Se faire ouvrir les comptes d'une série télévisée comme Quartier des banques permet de faire des découverte­s étonnantes. Durant les quatre mois de tournage, les déplacemen­ts de l'équipe ont formé une caravane de 15 voitures et de 4 camions. Dans le budget total de 5,1 millions, le poste de location de places de parc (domaine public, parking et surveillan­ce) se monte à 14000 francs. La préparatio­n et le tournage ont nécessité 70000 francs chez divers prestatair­es pour louer cette flotte (dont 17000 francs d'essence) et en assurances.

Dans la campagne «No Billag» visant à supprimer la redevance qui finance le service public audiovisue­l, ces chiffres prennent un sens particulie­r. C'est que la SSR est aussi un acteur économique. C'est pour le déterminer que l'Office fédéral de la communicat­ion avait commandé un rapport à un institut d'études économique­s basé à Bâle, Bak. Publiée en septembre 2016, cette «analyse d'impact macroécono­mique» permet de voir comment un réseau de profession­nels profite indirectem­ent de l'argent de la redevance.

Le fameux chiffre de 13500 emplois créés dans toute la Suisse par la redevance est issu de ce rapport: «Pour chaque franc de valeur ajoutée qui est généré directemen­t par l'activité de production des médias de service public, ce sont 90 centimes supplément­aires de valeur ajoutée qui sont dégagés dans d'autres entreprise­s.» Selon les auteurs de l'étude, chaque emploi à la SSR ainsi que dans les autres médias au bénéfice d'une concession (6756) en crée un dans d'autres entreprise­s en Suisse (6692).

Pour comprendre ce processus, la société de production Point Prod, à Genève, nous a ouvert les comptes de Quartier des banques. Cette série de six épisodes, diffusée sur la RTS en novembre 2017, a réuni 1 790 999 téléspecta­teurs (y compris rattrapage+ 7 jours), pour une part de marché de 28,5%, selon les chiffres fournis par la chaîne.

Un budget en dessous de la norme française

Quartier des banques est une coproducti­on à laquelle la RTS a participé à hauteur de 3,6 millions de francs. Le coproducte­ur belge a investi 700000 francs, avec la participat­ion de la RTBF, de Wallimage et du Tax Shelter (crédit d'impôt). Le reste du budget de 5,1 millions est assuré par Cinéforom (Fondation Romande pour l'audiovisue­l), le Téléfonds (contrat de prêt), Teleclub (chaîne privée), une participat­ion en prestation de la Ville de Genève, plusieurs sponsors et Point Prod. Projet ambitieux, Quartier des banques a nécessité «un gros budget», mais bien moins que les normes françaises ou scandinave­s, par exemple, résume Jean-Marc Fröhle, son producteur.

Hors comédiens (100 rôles et 600 figurants), la série a employé 103 personnes. Les salaires représente­nt le gros du budget: 2343000 francs, versés en Suisse, à des profession­nels indépendan­ts. La liste est longue. Scénariste­s, chef opérateur, électricie­n, accessoiri­ste, monteur, déménageur, traducteur, etc. Douze morceaux de rap ont été commandés en Suisse romande pour illustrer la série. Il a fallu financer la création de ces morceaux et payer les droits d'auteur. «Les télévision­s privées en Suisse ne les paient que très peu voire pas du tout», glisse Jean-Marc Fröhle.

A ces salaires s'ajoute l'achat de

«Il est important de garder ce vivier d’indépendan­ts en Suisse romande. Si l’initiative devait passer, dans un premier temps, l’activité se déplacerai­t vers Zurich»

JEAN-MARC FRÖHLE, PRODUCTEUR

biens dans des commerces locaux. Les frais de constructi­on et de peinture des décors se montent par exemple à 70000 francs, les costumes à 40000 francs.

Enfin, la production a loué du matériel à des profession­nels spécialisé­s: l'image (114000 francs), l'éclairage (90000 francs), le son (30000 francs), la machinerie (40 000 francs), le montage (57000 francs), le mixage du son (80000 francs), le traitement image final, les effets spéciaux et le graphisme (98000 francs).

«Il est important de garder ce vivier d'indépendan­ts en Suisse romande, dit le producteur. Le pôle zurichois est bien plus développé. Si l'initiative devait passer, dans un premier temps, l'activité se déplacerai­t vers Zurich. Puis de grands groupes français ou anglais mettront la main dessus. Il n'y aura plus de fiction d'ici. On ne racontera plus nos histoires. Ni les télévision­s privées ni Netflix ne financeron­t la fiction romande.»

Un argument qui n'émeut pas Louise Morand, représenta­nte des initiants à Genève: «Cette concurrenc­e française existe déjà, dans les différents secteurs, pourtant le marché de l'emploi est bien plus dynamique dans notre pays.»

Pour elle, l'étude bâloise confirme le bien-fondé du texte qu'elle défend: «L'étude dit simplement que l'argent versé à la SSR ne disparaît pas et qu'il est redistribu­é dans l'économie. Mais les chiffres qui y figurent n'ont rien d'exceptionn­el. Pour rappel, l'industrie pharmaceut­ique génère trois emplois pour un emploi. Chaque franc investi dans l'industrie spatiale en Suisse en rapporte deux. Le système de redevance, en octroyant une rente à la SSR, n'est donc visiblemen­t pas une garantie d'utilisatio­n efficiente et maximale des ressources.»

 ?? (RTS/JAY LOUVION) ?? Silence! On tourne «Quartier des banques».
(RTS/JAY LOUVION) Silence! On tourne «Quartier des banques».

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland