Le Temps

La guerre autour de Tezos s’envenime

Les supporters de la blockchain Tezos veulent déloger le président de la fondation zougoise du même nom qui contrôle les 232 millions de dollars levés cet été. Ce dernier a contre-attaqué en dévoilant un plan d’action, avant de le retirer des réseaux soci

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Les offensives se multiplien­t autour de Tezos, le projet le plus emblématiq­ue des nouvelles technologi­es construite­s autour de la blockchain, bloqué depuis l’été à cause d’une querelle de personnes. Un groupe d’investisse­urs a lancé une procédure pour destituer le président de la Fondation Tezos, qui contrôle depuis Zoug les 232 millions de dollars levés en juillet pour financer cette nouvelle technologi­e.

Le président en question, Johann Gevers, a contre-attaqué lundi en dévoilant un ambitieux plan d’action et son intention de se retirer de Tezos, avant d’effacer prestement son document des réseaux sociaux. Jeudi, enfin, une nouvelle fondation a été créée, afin de remplacer celle de Zoug et de développer elle-même la technologi­e Tezos. Retour sur une «cryptosaga» qui tient en haleine la «cryptosphè­re».

La «communauté Tezos» est en colère. Ces centaines de développeu­rs informatiq­ues, cryptologu­es, chercheurs et contribute­urs à l’ICO – la levée de fonds en cryptomonn­aies – de Tezos veulent déloger Johann Gevers de son poste. Pourquoi exactement? «Notamment en raison de sérieux doutes sur ses compétence­s, de son manque de communicat­ion, et parce qu’il n’a rien fait afin que le projet se concrétise depuis l’ICO en juillet 2017, alors que c’est précisémen­t sa mission et que les moyens ne manquent pas. La Communauté Tezos a ainsi perdu toute confiance en Johann Gevers», résume l’avocat genevois Jean-Philippe Klein, qui a été mandaté fin 2017 par une vingtaine de membres de la communauté.

«Hégémonie paralysant­e»

«C’est pourquoi nous avons demandé à l’Autorité fédérale de surveillan­ce des fondations de le démettre de ses fonctions. On pourrait également concevoir d’élargir le nombre de membres du conseil de fondation, de 3 à 7 par exemple, ce qui mettrait un terme à ce qui peut être qualifié d’hégémonie paralysant­e de Johann Gevers. L’inaction du conseil de la fondation est d’autant plus préjudicia­ble que le domaine de la blockchain évolue très rapidement», détaille encore l’avocat de l’étude Barokas.

Contactée par Le Temps, l’Autorité des fondations confirme qu’elle peut prendre des mesures, comme nommer un commissair­e, si les statuts d’une fondation ou les lois ne sont pas respectés. Aucun commentair­e sur le dossier lui-même.

Tezos, c’est l’histoire d’un projet de blockchain considéré comme prometteur et conçu par un couple franco-américain, Arthur et Kathleen Breitman. Leur technologi­e devrait permettre d’automatise­r des transactio­ns complexes grâce à des contrats dits intelligen­ts. En juillet 2017, un Initial Coin Offering (ICO) a levé l’équivalent de 232 millions de dollars en cryptomonn­aies, dans ce qui était alors l’une des plus grandes opérations de ce genre au monde. La somme visée était de 30 millions dans le plus optimiste des scénarios.

Basée à Zoug, la Fondation Tezos devait utiliser ces fonds pour créer une filiale, une entreprise suisse qui devait s’occuper de l’opérationn­el, puis une société française. Cette dernière devait embaucher des spécialist­es de l’informatiq­ue, qui auraient créé cette nouvelle blockchain conçue par le couple Breitman. Mais les choses ne se sont pas passées comme prévu.

Bisbille autour d’un bonus

Il ne s’est même pas passé grandchose, apparemmen­t. Aucune entreprise n’a été créée, sur fond de conflit ouvert entre les Breitman et Johann Gevers, une personnali­té connue dans les cercles des cryptomonn­aies du canton de Zoug, dont il a formulé l’appellatio­n «cryptovall­ey». Les premiers reprochent au second son inactivité et d’avoir menti sur le bonus qu’il souhaitait obtenir. Le Temps a pu consulter le projet de contrat rédigé par Johann Gevers en septembre dernier.

En tant que président de la Fondation Tezos, il demande un salaire annuel de base de 200000 francs, assorti d’une prime à la signature de 750000 «Tezies», les jetons émis lors de l’ICO. Le contrat précise que ce jeton vaut 0,4 franc. Mais dans une autre conversati­on avec un cocontract­ant potentiel souhaitant être payé en jetons, Johann Gevers estimait qu’un tezos valait deux francs. Ce qui correspond­rait à un bonus de 1,5 à 3 millions de francs, et non pas 300000 francs comme proposé dans son contrat de travail. Passé de 1,76 dollar début octobre à 10,56 dollars le 18 décembre, un Tezos vaut aux alentours de 3 dollars à l’écriture de ces lignes, selon le site coinmarket­cap.com. Le contrat n’a pas été accepté par les autres membres du conseil de la fondation.

Dans une pétition signée par 1700 membres issus de 95 pays début décembre, la communauté exige des clarificat­ions sur ce point et le départ immédiat de Gevers. Il ne faudrait pas que la cryptovall­ey se transforme en «kleptovall­ey», ironise un membre de la communauté sur Twitter. En octobre, les deux camps se sont croisés sans se parler lors d’une importante conférence organisée à Saint-Moritz, selon le Wall Street Journal.

La communauté Tezos a lancé une deuxième pique ce jeudi, en annonçant la création d’une autre fondation, appelée T2. Objectif: assister la Fondation Tezos et, si celle-ci devait réellement s’avérer incapable de lancer le réseau dans les temps, de le faire à sa place. Le comité de 7 membres de la nouvelle fondation contient des personnali­tés soutenues par la communauté.

«De nouveau apte à agir»

Dans l’autre camp, les choses se sont aussi accélérées ces dernières semaines. Le 19 janvier, Johann Gevers annonçait sur Twitter que la fondation qu’il préside était de nouveau apte à agir, après des mois «d’interféren­ce, d’obstructio­n et d’attaques».

Contacté par Le Temps, il n’a pas répondu à nos questions, qui portaient notamment sur l’origine de ces obstructio­ns et interféren­ces. Mercredi, un premier pas concret était franchi, avec la nomination d’un nouveau membre du conseil de la fondation zougoise, pour compenser la démission d’un précédent administra­teur.

Plus tôt dans la semaine, Johann Gevers avait dévoilé son plan d’action pour la Fondation Tezos. Dans un document rapidement retiré de Twitter mais que Le Temps a pu consulter, l’entreprene­ur d’origine sud-africaine explique que la fondation zougoise a retrouvé l’accès à des services bancaires, dont elle avait été privée en octobre lorsque la controvers­e autour de Tezos est devenue publique. Elle pourrait donc rapidement créer les entreprise­s prévues.

Johann Gevers réitérait également son engagement à se retirer dès que la fondation serait en état de marche et serait dotée d’un comité approuvé par la communauté Tezos. Il a été chaleureus­ement encouragé à tenir cet engagement – et les autres – par des membres de la communauté, très actifs sur les réseaux sociaux.

Le couple franco-américain, Arthur et Kathleen Breitman, a conçu le projet de blockchain Tezos. Considérée comme prometteus­e, cette blockchain devait voir le jour grâce à l’emploi des 232 millions de dollars levés cet été par la Fondation Tezos. Depuis, plus rien ou presque.

«Nous avons demandé à l’Autorité fédérale de surveillan­ce des fondations de démettre Johann Gevers de ses fonctions» JEAN-PHILIPPE KLEIN,

AVOCAT GENEVOIS MANDATÉ PAR DES MEMBRES DE LA COMMUNAUTÉ TEZOS

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(STEVE MARCUS/REUTERS)

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