Le Temps

Riyad éconduit par les banques suisses

Le nouveau pouvoir d’Arabie saoudite a fait pression sur plusieurs grandes fortunes du royaume pour qu’elles rapatrient leurs comptes helvétique­s. Refus catégoriqu­e des banquiers, en particulie­r à Genève

- SYLVAIN BESSON @SylvainBes­son

Plusieurs banques suisses ont refusé de transférer en Arabie saoudite les avoirs de clients détenus lors de la purge anti-corruption qui a secoué le royaume ces derniers mois, a appris Le Temps de sources bien informées.

Selon elles, le nouveau pouvoir de Riyad, dominé par le prince héritier Mohammed ben Salmane, a fait pression sur de grandes fortunes saoudienne­s pour qu’elles rapatrient leurs comptes suisses afin de les confisquer.

Parmi les établissem­ents concernés à Genève se trouveraie­nt notamment Pictet, UBS, Lombard Odier et Credit Suisse. Aucune des banques mentionnée­s n’a souhaité commenter ces informatio­ns. Mais le Financial Times citait cette semaine des «banquiers suisses haut placés», qui affirmaien­t que les tentatives saoudienne­s de faire main basse sur les fonds de leurs clients avaient échoué.

L’Arabie saoudite est l’un des plus gros clients de la place financière suisse. Rien que chez UBS, le desk saoudien emploie plus de 60 personnes, notait récemment la Handelszei­tung.

A Genève, les parents de Saoudiens visés par la purge ont entamé des procédures judiciaire­s pour empêcher le transfert des comptes de leurs proches vers l’Arabie saoudite.

«Ces procédures sont actuelleme­nt suspendues, car les banques suisses savent ce qui se passe à Riyad, indique une source proche du dossier. Les banquiers ont donné des garanties qu’aucun transfert ne serait effectué tant que la volonté libre des clients ne serait pas confirmée. Ils leur ont demandé de certifier qu’ils ne sont plus dans une situation de contrainte.»

Dans d’autres cas, pourtant, les banques n’ont eu d’autre choix que de s’exécuter. «Si le client confirme son ordre de transfert par téléphone, il est délicat de refuser, commente un avocat genevois au fait de la situation. Et puis, si la personne estime que sa liberté vaut bien 100 millions, ce n’est pas à la banque de se substituer à elle.»

«Suceurs de sang»

Près de 400 membres de l’élite saoudienne, rejetons des anciens rois, ministres, ex-ministres et hommes d’affaires, ont été détenus depuis le 4 novembre au Ritz, un palace de la capitale saoudienne. Quelque 107 milliards de dollars auraient été récupérés durant cette opération et 56 personnes sont toujours en détention, a annoncé mardi le procureur général du royaume.

Officielle­ment, il s’agissait de récupérer les fonds de ceux qui ont «sucé le sang du pays» en bénéfician­t de largesses excessives et de contrats surfacturé­s sous les règnes des rois Fahd (1982-2005) et Abdallah (20052015). Mais certains proches des détenus dénoncent une rafle arbitraire, marquée par le chantage, la menace et des brutalités.

«Ce n’est pas une purge anti-corruption, c’est une guerre contre les familles des anciens rois», s’indigne un homme d’affaires saoudien réfugié en Europe et qui a eu des contacts avec des personnes arrêtées. «On a peur que nos communicat­ions soient espionnées, hackées, voire d’être kidnappé.»

Le pouvoir saoudien a tenté de faire revenir au pays la princesse Johara al-Ibrahim, ancienne épouse préférée du roi Fahd, qui occupe un vaste palais à Collonge-Bellerive (GE). Sa fortune – l’héritage de Fahd se compterait en dizaines de milliards – serait gérée à Genève depuis des décennies.

Le prince héritier Mohammed ben Salmane est le nouvel homme fort du royaume saoudien. La campagne anti-corruption lancée en novembre viserait, entre autres, à consolider son pouvoir. «Ce n’est pas une purge anti-corruption, c’est une guerre contre les familles des anciens rois» UN HOMME D’AFFAIRES SAOUDIEN RÉFUGIÉ EN EUROPE

«On l’a priée de rentrer en Arabie saoudite, mais elle a refusé», indique une source très au courant des affaires saoudienne­s. «On lui a posé des questions, mais elle n’est pas en danger et réside tranquille­ment dans son palais en Suisse», ajoute un autre initié.

Ses frères, hommes d’affaires très puissants du temps du roi Fahd, ont eu moins de chance. Trois d’entre eux au moins ont été prisonnier­s au Ritz, mais sont aujourd’hui sortis de détention. Selon le Financial Times, l’un des frères, Walid al-Ibrahim, a dû remettre au gouverneme­nt sa part dans le groupe de médias MBC, qui contrôle les plus grandes chaînes de télévision saoudienne­s. «Il garde 40% mais l’Etat va entrer au capital de son groupe», nuance une personne qui connaît la famille.

Elite saoudienne ébranlée

Aujourd’hui, la purge lancée par Mohammed ben Salmane s’achève. Mais elle risque de laisser des traces. L’élite saoudienne sort très ébranlée des événements. Des dizaines d’hommes d’affaires, princes et anciens ministres se sont réfugiés en Europe, à Londres et à Paris principale­ment.

A Genève, une vingtaine de membres d’une même famille ont obtenu des permis de séjour en décembre, indique un de leurs proches. «Ce qui est terrible, se lamente l’un de ces réfugiés, c’est qu’il n’y a plus d’Etat de droit en Arabie saoudite.»

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(JONATHAN ERNST/POOL/GETTY IMAGES)

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