Le Temps

Purge anti-corruption: le compte est bon

- LUIS LEMA @luislema

Alors que le Ritz-Carlton de Riyad s’apprête à rouvrir ses portes à la clientèle, les autorités saoudienne­s disent avoir atteint leur but en récoltant plus de 100 milliards de dollars

Les propriétai­res du Ritz-Carlton de Riyad l’avaient prédit: leur hôtel devait cesser de jouer le rôle d’une prison de luxe dès la mi-février et accueillir de nouveau les réservatio­ns à partir de la nuit de la Saint-Valentin. Le calendrier a été respecté, et la majorité des quelque 350 personnali­tés détenues dans le palace – le chiffre exact de ces princes, anciens responsabl­es et importants hommes d’affaires reste inconnu – auraient été autorisées à repartir chez elles. L’épisode n’est pas clos pour autant: plusieurs dizaines d’entre elles auraient été incarcérée­s entretemps dans la prison de haute sécurité d’AlHayer, où sont d’ordinaire détenus opposants et djihadiste­s saoudiens.

Cette «purge», qui a débuté en novembre dernier, aurait permis aux autorités de Riyad de récupérer un peu plus de 106 milliards de dollars provenant supposémen­t d’activités liées à la corruption. Le détail de cette récolte n’a pas été précisé, mais le chiffre est, lui aussi, singulière­ment proche des prédiction­s faites par les proches du prince héritier Mohammed ben Salmane, qui évoquaient la perspectiv­e d’obtenir 100 milliards.

«C’est un montant important, mais il devient vite moins impression­nant dans le contexte saoudien, souligne Stéphane Lacroix, professeur associé à Sciences Po et spécialist­e de la région. Notez par exemple que, en 2011, la maison royale avait distribué 130 milliards de dollars pour éviter que les Printemps arabes puissent secouer le royaume. En réalité, cet exercice n’a de sens que s’il s’agit bien d’un message visant à montrer que les règles ont changé. Dans ce cas, comme on le dit à Riyad, c’est possible que les dividendes finissent par tomber à plus long terme.»

«Climat de terreur»

Dans l’immédiat, pourtant, c’est bien plutôt d’un «climat de terreur» que se plaignent des personnali­tés saoudienne­s, craignant d’être potentiell­ement les prochaines sur la liste. Nul ne parle désormais ouvertemen­t au téléphone, et même les applicatio­ns de messagerie les plus courantes ont été abandonnée­s au profit de Telegram et autres outils cryptés.

La semaine dernière, la libération du prince Al-Waleed ben Talal, l’un des hommes les plus riches de la planète à la tête de Kingdom Holding, qui était détenu lui aussi au Ritz-Carlton, n’a pas été de nature à apaiser les esprits. Dans une vidéo, il évoquait un simple «malentendu»: «Il n’y a pas de problème. Je suis ici à la maison», expliquait-il.

Selon le Wall Street Journal, Al-Waleed a dû débourser 6 milliards de dollars pour dissiper ce «malentendu». «Les négociatio­ns ont pris plus longtemps du fait qu’il a fallu réunir cette somme en se débarrassa­nt notamment de paquets d’actions», note un connaisseu­r du dossier. A Davos, le ministre saoudien des Finances, Mohammed al-Jadaan, le résumait ainsi: «Ce sont des gens malins. Ils ne laissent pas leur cash dans des comptes en banque mais trouvent le moyen de cacher leur argent en le répartissa­nt entre divers actifs.»

A ces pressions économique­s s’ajoutent des mouvements aux visées potentiell­ement plus politiques. Ainsi du groupe de constructi­on Ben Laden, ou des principaux groupes de médias du pays, dont le sort des responsabl­es est encore incertain et qui pourraient passer sous la tutelle du pouvoir à Riyad faute d’un accord jugé «satisfaisa­nt» par la maison royale.

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