Le Temps

POUR LE PLAISIR DES YEUX

«On me dit que je suis chanceuse car mes photograph­ies valent très cher. Mais comme je refuse de les vendre et que je dois continuer à en acheter…»

- PAR CAROLINE STEVAN t @CarolineSt­evan

Le Musée de l’Elysée expose une impression­nante collection privée, qui comprend entre autres des tirages de Man Ray, Cindy Sherman et Robert Doisneau.

Le Musée de l’Elysée expose une partie de l’impression­nante collection Gilman et Gonzalez-Falla. Fil rouge: la ligne et sa puissance esthétique. Juste pour le plaisir des yeux

La ligne est peu de chose. C’est un trait, «continu», «réel» ou «imaginaire», nous dit Larousse. Il sépare deux espaces contigus. Sa teneur, pourtant, peut-être hautement symbolique – la ligne Maginot – ou hautement esthétique. En témoigne la nouvelle exposition du Musée de l’Elysée, à Lausanne. La beauté des lignes offre un parcours dans la très belle collection de photograph­ies du couple Sondra Gilman et Celso Gonzalez-Falla. Initié au milieu des années 1970, l’ensemble newyorkais compte quelque 1500 pièces, dont de nombreux chefsd’oeuvre. Il a fallu choisir. «Cet angle s’est imposé, souligne Marc Donnadieu, conservate­ur en chef. Nous n’avons pas l’habitude d’appréhende­r les exposition­s sur le thème de la compositio­n mais il permet de montrer des images que l’on ne reverra pas et peutêtre de faire naître des vocations de collection­neur. Susciter du désir par rapport à l’objet photograph­ique est important à l’ère du numérique.»

L’exposition, ainsi, se concentre sur les tirages vintages, avec des pièces couvrant les XXe et XXIe siècles. Des Man Ray, Walker Evans, Cindy Sherman, Robert Doisneau ou Stéphane Couturier. Des inconnus aussi. Des lignes jetant le trouble, comme ce corps d’homme noir sur un cheval blanc signé Laurent Elie Badessi, d’autres confinant à l’abstractio­n, avec Aaron Siskind. Des lignes végétales ou architectu­rales. Des lignes qui caressent ou qui enferment. Une promenade plastique sur les rives du réel, une flânerie ô combien agréable à travers l’histoire de la photograph­ie et les coups de coeur d’un couple de passionnés. Rencontre avec Sondra Gilman et Celso Gonzalez-Falla.

Comment cette collection a-t-elle démarré?

Sondra Gilman: Alors que j’appartenai­s au Conseil junior du MoMA, je suis tombée sur une exposition d’Eugène Atget, au milieu des années 1970. Je n’en avais jamais entendu parler. La photograph­ie n’était alors pas du tout considérée; seule la peinture et la sculpture comptaient. J’ai été fascinée. Je suis allée dans le bureau du conservate­ur John Szarkowski et l’ai supplié de me parler de photograph­ie. Il m’a donné trois jours de cours puis m’a informé que le musée vendait des tirages pour trouver de l’argent. J’ai acheté trois Atget, 250 dollars pièce. Je me suis fait enguirland­er en rentrant à la maison. Mes parents m’ont traitée de folle. Je n’ai jamais arrêté depuis.

Celso Gonzalez-Falla: Je ne collection­nais pas avant de rencontrer Sondra et nous sommes mariés depuis trente et un ans seulement. Notre premier achat commun était un Mapplethor­pe.

Achetez-vous toujours à deux?

C. G.-F.: Oui, nous devons avoir le coup de coeur tous les deux. Nous regardons séparément dans la galerie, nous établisson­s un top 3 puis nous comparons. Nous avons toujours le même top 3, ensuite il faut discuter pour élire le premier choix.

S. G.: A ce moment-là, il me laisse généraleme­nt trancher! Achetez-vous uniquement dans les galeries?

S. G.:

Principale­ment, ainsi que dans les ventes aux enchères. Je n’aime pas acheter aux photograph­es directemen­t car je redoute les interféren­ces; c’est compliqué s’il y a des liens d’amitié. Comme nous n’achetons que des vintages, il faut parfois attendre des années pour qu’une pièce arrive sur le marché, le décès de quelqu’un, un business qui périclite…

Quels sont vos critères d’achat? Essayez-vous de donner une cohérence à l’ensemble? S. G.:

On se moque de qui prend la photograph­ie et de la thématique traitée. Nous fonctionno­ns vraiment au coup de coeur.

Vous achetez depuis quatre décennies; comment le marché a-t-il évolué?

S. G. (elle lève le pouce en riant): On me dit que je suis chanceuse car mes photograph­ies valent très cher aujourd’hui. Mais comme je refuse de les vendre et que je dois continuer à en acheter…

Comment financez-vous votre collection?

S. G.: Nous ne vendons rien et dépensons tout.

Songez-vous à fonder un musée un jour?

C. G.-F.:

Tout ira à une fondation après notre mort. Elle sera chargée d’organiser des exposition­s et de prêter aux musées. Nous refusons de vendre la moindre image.

Y a-t-il un tirage auquel vous tenez particuliè­rement?

S. G.: Cela revient à demander à un parent quel est son enfant préféré!

Une image que vous rêvez de posséder?

S. G.:

Beaucoup. Nous avons parfois attendu des années, vingt ans pour le Lit défait d’Imogen Cunningham, par exemple.

La dernière que vous ayez achetée?

S. G. et C. G.-F.:

Un cinéma désaffecté d’Yves Marchand et Romain Meffre et une image de Julia Margaret Cameron. Une partie de ces tirages sont exposés sur nos murs. Nous changeons tous les huit mois environ.

 ?? Catalogue aux Editions Noir sur Blanc. ?? «La beauté des lignes. Chefs-d’oeuvre de la collection Sondra Gilman et Celso Gonzalez-Falla.» Jusqu’au 6 mai au Musée de l’Elysée, à Lausanne.
Catalogue aux Editions Noir sur Blanc. «La beauté des lignes. Chefs-d’oeuvre de la collection Sondra Gilman et Celso Gonzalez-Falla.» Jusqu’au 6 mai au Musée de l’Elysée, à Lausanne.

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