Le Temps

Citation à comparaîtr­e

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Voilà voilà voilà. Il faut bien faire des aveux. Il y a des jours comme celui-ci où la chronique vous échappe. Vous furetez à gauche à droite en quête d’un sujet. Le plus facile dans ces cas-là, me dis-je, c’est la quête de citations… Trouver une petite phrase sur laquelle décoller, un tremplin pour s’envoler dans les airs. Il suffirait de l’ombre d’une idée pour que ça démarre…

Je me mets donc à lire des citations. Des citations, des citations et encore des citations. Tout un dictionnai­re de citations. Et j’en bâille d’ennui. Je me retrouve peu à peu, page après page, au bord de l’endormisse­ment. Pourtant que de grands hommes! Que de pensées élevées! Que de sagesse! Que d’eau! Que d’eau! Que d’os! Que d’os! dirait Jean-Patrick Manchette… Et je pique du nez devant l’écran.

L’aphorisme, le proverbe – à quelques rares exceptions près –, je m’en souviens clairement maintenant, m’a toujours déprimée. Même si je supporte mieux un livre d’aphorismes, où l’auteur tisse peut-être un champ d’échos que l’on peut alors débusquer – que le principe d’une phrase définitive, toute seule, arrogante, posée là, comme une droite unique au milieu d’un plan où elle tente de faire croire qu’elle est la seule à occuper son espace virtuel en deux dimensions…

Il faut bien le constater, la citation m’écoeure, me donne le tournis. Plus j’en lis, plus sa superbe et sa fatuité me sautent aux yeux. Quelle impudence! Si peu de mots et on prétend faire monde. Non mais!

La citation ressemble à un serpent qui se mord la queue. A force de vouloir tenir toute seule, on sent bien qu’elle se rigidifie, qu’elle bouche tous ses orifices, qu’elle ferme ses écoutilles et ses stores, qu’elle refuse de se balancer mollement dans le vent, qu’elle ne s’autorise ni rêveries ni détours, ni vagabondag­es. Posée là comme un caillou. Plus d’un s’en saisit et s’en sert pour vous casser les pieds et vous asséner sa science, avançant masqué, armé de ces quelques mots. Les plus malins la ramasseron­t et tenteront le ricochet.

Allez, tentons le ricochet. Reprenons la citation à zéro. Emparons-nous de son sens juridique. Ah, ah! La voilà qui devient une assignatio­n. Mais c’est intéressan­t. J’aperçois une «citation à comparaîtr­e»! Et si, restons dans notre contexte, c’était le livre que, finalement, on invoquait ainsi? Convoqué à la barre, sommé de venir témoigner, éclairer, contextual­iser. Oui. Voilà qui ricoche, qui rebondit avec énergie. La citation comme trace du livre, comme pierre qui déclenche une série de ronds d’eau dans la mare. Elle revient en grâce, elle nous parle de plus grand, plus beau, plus riche qu’elle. Elle nous fait signe. Signe qu’il y a un livre. Qu’il faut reprendre le livre. Et comme ça, elle me plaît. Lorsqu’elle est en lien, ouverte, comme une lucarne qui relie monde et récit.

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PAR ÉLÉONORE SULSER @eleonoresu­lser

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