Janet Yellen est «déçue». Elle ne devrait pas
Janet Yellen est «un peu déçue». La désormais ex-présidente de la Réserve fédérale américaine (Fed) l’a dit dimanche soir sur la chaîne CBS: elle n’est pas fâchée, mais elle aurait bien voulu rempiler pour quatre ans. Donald Trump en a décidé autrement. C’est donc Jerome Powell, désigné par le président américain en fin d’année, qui la remplace dès ce lundi.
Déçue, parce que la coutume veut qu’un président de la Fed soit reconduit pour quatre ans, même si le président qui l’a nommé – en l’occurrence Barack Obama – n’est pas celui qui prolonge son mandat. De fait, la raison de ce changement de cap n’est pas vraiment claire. Car, critique virulent pendant sa campagne présidentielle, Donald Trump n’a ensuite cessé de la complimenter, surtout les quelques derniers mois.
Chiffres flatteurs
Déçue de son travail? Probablement pas, à moins de placer la barre extrêmement haut. Il existe une série de chiffres qui peuvent donner une idée de l’impact que la New-Yorkaise a eu sur l’économie américaine et ils sont tous plutôt flatteurs. Le chômage? A en croire les chiffres officiels, il a rarement été aussi bas, à 4,1%. Pour les Etats-Unis, un tel niveau frise le plein-emploi, même s’il faudrait tenir compte des chômeurs sortis des statistiques, soit parce qu’ils n’ont plus droit aux indemnités, soit parce qu’ils se sont découragés. Un problème récurrent, qui ne date pas de ce mandat et qui ne sera probablement pas réglé à la fin du suivant.
L’inflation? Elle donne enfin des signes d’un retour aux environs de 2%, la cible implicite de la banque centrale. Les bourses? Si on exclut les derniers jours, elles ont retrouvé des niveaux record. La croissance? Elle a freiné en fin d’année dernière, mais à 2,3% en 2017, c’est mieux que la plupart des pays développés. De quoi pavaner, même si, évidemment, Janet Yellen n’a pas tout fait toute seule, comme ses prédécesseurs et ses successeurs.
Une performance dont Donald Trump s’est d’ailleurs largement attribué les mérites, se vantant sans scrupule, à Davos et ailleurs, de ces chiffres solides. La réforme fiscale qu’il a lancée va peut-être stimuler la croissance, mais il est beaucoup trop tôt pour qu’on puisse comptabiliser son effet. C’est donc plutôt du côté de la banque centrale et des mesures non conventionnelles mises en place depuis la crise qu’il faut trouver les responsables de cette embellie. Et les citoyens américains n’ont pas l’air de se méprendre sur la question.
Le bilan de Janet Yellen, présidente de la Fed de San Francisco à partir de 2004, puis vice-présidente de la Fed depuis 2010, avant de remplacer Ben Bernanke quatre ans plus tard, ne se mesure d’ailleurs pas qu’en chiffres. L’économiste a dû manoeuvrer dans l’une des périodes les plus délicates de l’histoire de l’institution. Celle du retrait des mesures non conventionnelles mises en place dans le sillage de la crise financière, avec, pour ainsi dire, aucun précédent sur lequel s’appuyer pour trouver le chemin.
Risque de bulle
C’est donc l’économiste formée à Brown, puis à Yale, avant d’enseigner à Harvard et à la London School of Economics, qui a dû sortir des plans de rachat d’actifs puis entamer la hausse des taux d’intérêt, au plancher depuis pratiquement dix ans. Trouver le rythme adéquat sans casser le retour de la croissance, ni maintenir sous perfusion une économie qui n’en avait plus besoin et gonflant ainsi des bulles financières.
On peut déjà en être certain: la Fed n’est pas allée trop vite, la croissance et l’économie ont eu le temps de se renforcer avant que ses attelles leur soient retirées. Et c’était là le souci principal après une récession particulièrement dévastatrice. Est-elle allée trop lentement? Peut-être, mais il est trop tôt pour en être certain. Pour les critiques de Janet Yellen, la hausse des taux aurait dû être plus rapide, afin d’éviter de se trouver dans une situation où l’économie replongerait et la Fed n’aurait plus de munitions. Avec des taux directeurs à 1,5%, les réserves sont en effet maigres. D’autant que la bulle, elle, a eu le temps de se nourrir, ajoutent les critiques.
Facile à dire. C’est précisément parce que les marchés s’inquiètent d’un retour de l’inflation et, donc, de davantage de hausses des taux qu’ils plongent depuis quelques jours. La désormais ex-numéro un de la Fed pourra étudier cela depuis le think tank Brookings, où elle rejoint son prédécesseur – pas question de prendre une retraite, même à 71 ans –, tout en soignant sa déception. Et son bilan. Car Janet Yellen pourrait difficilement partir à un meilleur moment.
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