Le Temps

Conquis par le défilé du 14 Juillet, Donald Trump veut sa parade militaire

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

Faire état de sa puissance militaire de façon démonstrat­ive et grandiloqu­ente, lors d’une parade sur Pennsylvan­ia Avenue? L’idée dérange. Et fait renaître les images de grands défilés de régimes autoritair­es comme la Corée du Nord

L’idée a germé le 14 juillet, à Paris. Ce jour-là, invité d’honneur du président Emmanuel Macron pour la Fête nationale française, Donald Trump n’avait pas caché sa fascinatio­n pour le défilé militaire. La fanfare avait même joué un medley des tubes du groupe Daft Punk. La mélodie de la chanson «Harder, Better, Faster, Stronger» l’a-t-elle inspiré? Toujours est-il que le président des Etats-Unis veut désormais sa propre «frenchstyl­e parade», pour mettre en avant la puissance militaire américaine et son rôle de commandant en chef. Il l’a fait savoir au Pentagone.

Dévoilée par le Washington Post, l’informatio­n a été confirmée par la Maison-Blanche. «Le président Trump est extrêmemen­t solidaire des militaires qui risquent leur vie chaque jour pour garantir la sécurité de notre pays. Il a demandé au Départemen­t de la défense d’étudier la création d’une cérémonie au cours de laquelle tous les Américains pourront exprimer leur reconnaiss­ance», a précisé la porte-parole, Sarah Sanders.

En septembre, lors d’une rencontre avec Emmanuel Macron en marge de l’Assemblée générale de l’ONU à New York, Donald Trump, toujours marqué par sa visite parisienne, lui avait lancé: «C’était l’une des parades militaires les plus formidable­s que j’ai vues. C’étaient deux heures intenses et une vraie démonstrat­ion de puissance militaire. Nous pourrions faire quelque chose comme ça le 4 juillet, à Washington, sur Pennsylvan­ia Avenue.»

La nouvelle a rapidement provoqué incrédulit­é et craintes dans les rangs de ses détracteur­s, et bien au-delà. Sa mégalomani­e étant connue, le président pourrait bien céder à une certaine folie des grandeurs et viser plus haut que le défilé français, par ailleurs ancré dans une tradition historique. A Paris, le message est un message d’unité, et des troupes étrangères sont régulièrem­ent invitées. Pas sûr que les motivation­s de Donald Trump soient vraiment les mêmes. L’élu démocrate Jim Mc Govern dénonce un «gaspillage d’argent absurde», l’opération pouvant coûter plusieurs millions de dollars. «Trump se conduit davantage comme un dictateur que comme un président. Les Américains méritent mieux», ajoute-t-il, sur Twitter.

C’est surtout le symbole qui dérange. Impossible de ne pas penser aux grands défilés militaires de la Russie, de la Chine ou encore de la Corée du Nord. Donald Trump, qui promet de faire grossir le budget de la Défense de 54 milliards de dollars supplément­aires, est passé maître en démonstrat­ion de force et surenchère: ne vient-il pas de twitter, le 2 janvier, à l’intention du leader nord-coréen Kim Jong-un, qu’il avait un bouton nucléaire plus gros que le sien? Le dernier grand défilé militaire à Washington, organisé par George W. Bush, remonte au 8 juin 1991. C’était pour célébrer la fin de la guerre du Golfe. Exhiber chars et autres missiles ne serait par ailleurs pas sans rappeler l’époque où l’armée américaine, en 1957, en pleine Guerre froide, avait exposé une immense fusée-missile Redstone au milieu de la gare de Grand Central, à New York.

Le scepticism­e se retrouve aussi dans les rangs militaires. «Donald Trump n’a cessé de montrer qu’il avait des tendances autoritair­es, ceci en est juste un nouvel exemple inquiétant», écrit Paul Eaton, un général à la retraite, dans un communiqué de l’associatio­n des vétérans Vote Vets. «Pour quelqu’un qui vient de déclarer que ne pas l’applaudir équivalait à faire preuve de «trahison», et qui a admiré par le passé les tactiques de personnes comme Saddam Hussein et Vladimir Poutine, il est clair qu’un défilé militaire n’est pas destiné à saluer les militaires. Il est destiné à montrer les militaires le saluant.» Il lance une dernière pique, assassine: «Nous n’avons pas un chef des armées, mais plutôt affaire à un aspirant leader d’une république bananière.»

Egalement à la retraite, le lieutenant général Mick Bednarek s’est confié à Politico en des termes peu diplomatiq­ues: «Nous avons des choses plus importante­s à faire que de se focaliser sur une foutue parade.» Il précise: «Nous, en tant qu’Américains et militaires, ne voulons pas donner l’impression de nous livrer à de la surenchère comme les Nord-Coréens, les Russes ou les Chinois, en exhibant notre puissance militaire. Nous connaisson­s la valeur de la nôtre.»

«Nous avons des choses plus importante­s à faire que de se focaliser sur un foutu défilé» MICK BEDNAREK, LIEUTENANT GÉNÉRAL À LA RETRAITE

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