Le Temps

Une Tesla en route vers Mars

Pari réussi pour le directeur de SpaceX: sa fusée Falcon Heavy a effectué son vol d’essai sans encombre et mis sur orbite sa Tesla dans une mise en scène hollywoodi­enne

- FABIEN GOUBET @fabiengoub­et

Falcon Heavy a réussi son entrée sur la scène spatiale. La fusée la plus puissante du monde a effectué un vol parfait et mis sur orbite une Tesla dans une mise en scène hollywoodi­enne. Elon Musk a gagné son pari fou qui ouvre le champ de tous les possibles

Que c’est beau la technologi­e, surtout quand ça marche! La nouvelle fusée de SpaceX, Falcon Heavy, a réussi son entrée sur la scène spatiale, mardi 6 février. Et de quelle manière! Non seulement le vol d’essai de cette fusée lourde, la plus puissante au monde, a fait un quasi-sans-faute. Mais de plus la diffusion de l’événement en direct sur YouTube a offert un spectacle époustoufl­ant, même pour les plus désabusés des spectateur­s.

La fusée a mis en orbite une charge pas comme les autres, puisqu’il s’agissait de la Tesla rouge d’Elon Musk, patron à la fois de la marque automobile et de SpaceX. En plus d’un sérieux coup de pub pour ses deux marques, le fantasque entreprene­ur a prouvé que Falcon Heavy, malgré la perte de l’un de ses propulseur­s tombé dans l’Atlantique, est prête à la commercial­isation. Les futurs clients peuvent sortir le carnet de chèques.

Trois succès et un échec

Ce lancement a vu trois succès et un échec. Succès du décollage, durant lequel d’infernales volutes de flammes se sont échappées des réacteurs de Falcon Heavy, avant que celle-ci ne s’élève dans le ciel. Succès de l’atterrissa­ge des deux propulseur­s latéraux, qui se sont posés en parfaite synchronis­ation à une centaine de mètres de distance l’un de l’autre, avec la légèreté d’une plume et sous l’oeil des caméras. C’était là le premier clou du spectacle. Succès également de la mise en orbite de la Tesla, donc, et échec de la récupérati­on du reste du premier étage, qui s’est écrasé dans l’Atlantique, au lieu d’atterrir sur l’un des bateaux-drones autonomes de SpaceX. Il semblerait que le moteur ne se soit pas rallumé afin de freiner sa chute. Avec ce succès partiel, c’est la onzième fois de suite que les propulseur­s des fusées de Spacex sont récupérés.

Outre l’atterrissa­ge parfait des propulseur­s, la retransmis­sion a été marquée par une avalanche d’images époustoufl­antes de la Tesla d’Elon Musk, truffées d’«Easter eggs» (des références cachées) pour les geeks fans de science-fiction. Visez plutôt: alors que la première partie de la retransmis­sion semblait prendre fin et que les commentate­urs prenaient congé des internaute­s, apparut soudain sans crier gare un plan montrant la voiture avec à son volant le mannequin nommé Starman, en tenue d’astronaute. Puis la capsule s’ouvrit soudaineme­nt, dévoilant les somptueuse­s courbes de la planète bleue en arrière-plan.

Sur l’ordinateur de bord, un message: «Don’t panic!», référence à The Hitchhiker’s Guide to the Galaxy de Douglas Adams, et en fond sonore Space Oddity, de David Bowie: pouvait-on imaginer une plus belle déclaratio­n d’amour à l’exploratio­n spatiale?

Pour SpaceX, la partie était toutefois loin d’être gagnée. 2013, 2014, et finalement 2018, les annonces du lancement de Falcon Heavy faisaient un peu figure d’arlésienne. «Fabriquer Falcon Heavy est en fait bien plus difficile que prévu», avait dit Elon Musk lors d’une conférence de presse en juillet dernier. Le projet a failli être abandonné trois fois.

De Saturn V à Falcon Heavy

Il paraît que l’histoire aime les clins d’oeil. Vrai ou pas, Falcon Heavy est en tout cas partie du même pas de tir que celui utilisé par la NASA lors des lancements de Saturn V, la fusée la plus puissante jamais construite, celle-là même qui envoya l’homme sur la Lune il y a bientôt cinquante ans. Difficile d’imaginer une meilleure métaphore pour illustrer ce passage de témoin technologi­que, ou cette redite, c’est selon.

Une page s’est également tournée au niveau commercial. C’était la première fois qu’une fusée de ce calibre était lancée par une entreprise privée et non par une agence spatiale. Finie, l’époque où l’espace était chasse gardée de ces seuls protagonis­tes. Des acteurs privés – souvent des milliardai­res du Web, comme Elon Musk – se lancent vers les étoiles. «Il a frappé très fort avec ce lancement et va bousculer ce marché de niche historique», prédit Ludovic Janvy, directeur pour la Suisse de la division industrie du groupe de conseils en ingénierie Altran.

Pour ce dernier, le succès de SpaceX repose certes sur la disruption technologi­que, avec la récupérati­on des boosters, mais aussi sur le recrutemen­t d’experts de l’aérospatia­le. «A la différence de Tesla, qui s’est appuyée énormément sur du personnel étranger au secteur automobile et qui rencontre depuis des difficulté­s de production, SpaceX a dans ses rangs des profils talentueux, ce qui fait la différence.»

Et maintenant? La fusée n’en a pas terminé. Elle doit au premier semestre mettre en orbite un satellite télécom saoudien, avant un vol d’essai pour transporte­r du matériel de l’armée américaine. Il lui restera ensuite deux autres satellites télécom à expédier plus tard dans l’année. Mais après le vol d’hier, d’autres clients pourraient se manifester. Avec un tarif relativeme­nt modeste (90 millions de dollars le tir, contre 62 pour Falcon 9), pour une charge utile en orbite basse de 64 tonnes (9 pour Falcon 9), Falcon Heavy séduira sans doute d’autres entreprise­s privées, ainsi que des agences spatiales. La NASA, bien qu’ayant elle aussi dans ses cartons un lanceur lourd, le SLS, sera certaineme­nt cliente de SpaceX. De quoi préparer des missions, robotiques ou habitées, vers d’autres planètes.

Quant à Starman, dont on a pu suivre les premières heures de vol, il vogue désormais en orbite lointaine de Mars et se dirige vers la redoutable ceinture d’astéroïdes, dans un voyage qui durera des milliers d’années. Qui a dit que l’espace ne faisait plus rêver?

En haut, Falcon Heavy au décollage à cap Canaveral. En bas, l’atterrissa­ge parfait des propulseur­s latéraux de la fusée. «Elon Musk a frappé très fort et va bousculer un marché historique» LUDOVIC JANVY, ALTRAN Starman, le mannequin astronaute, au volant de la Tesla rouge d’Elon Musk. Pour le vol d’essai de Falcon Heavy, l’entreprene­ur et patron de SpaceX a voulu remplacer les habituelle­s charges de béton, jugées ennuyeuses, par quelque chose de plus amusant.

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(AFP)
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(EN HAUT: JOE RAEDLE – EN BAS: REUTERS)
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