Le Temps

Le train manqué de Clint Eastwood

- STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

Le cinéaste américain raconte dans «Le 15h17 pour Paris» l’héroïsme de trois compatriot­es ayant neutralisé le terroriste entré en août 2015 à bord d’un train à grande vitesse reliant Amsterdam à Paris. Embarrassa­nt

Fait a priori unique au sein de l’imposante filmograph­ie de Clint Eastwood, Le 15h17 pour Paris, en salle depuis ce mercredi, n’a pas été montré à la presse avant sa sortie. Une décision pas vraiment rassurante quant à la qualité du film… Et en effet, malgré toute la bonne volonté qu’on peut y mettre, difficile de sauver ce 37e long-métrage d’un cinéaste qui a signé en près de cinquante ans de carrière derrière la caméra un nombre assez impression­nant d’oeuvres majeures.

Avec Le 15h17 pour Paris, Eastwood semble conclure une trilogie du héros américain amorcée avec American Sniper (2014) puis poursuivie avec Sully (2016). Après avoir raconté l’histoire du plus redoutable tireur d’élite de l’histoire militaire américaine, puis celle du pilote ayant réussi à poser un avion en détresse sur le fleuve Hudson, il s’attaque cette fois à l’acte de bravoure de trois amis ayant réussi à empêcher, en été 2015, un attentat meurtrier. S’ils n’étaient pas parvenus à maîtriser un terroriste monté à bord d’un train à grande vitesse reliant Amsterdam à Paris, c’est probableme­nt à un carnage qu’on aurait assisté.

Vignettes sans intérêt

Le réalisateu­r explique avoir eu envie d’adapter le livre publié par les trois protagonis­tes sans penser à de possibles connexions avec ses deux précédents longs-métrages. Il estimait simplement qu’il s’agissait là d’une bonne histoire. Certes, mais elle tellement ténue – l’action héroïque qui en constitue le coeur étant brève – qu’elle ne suffisait pas à remplir un film entier. C’était déjà le cas dans Sully, mais Eastwood parvenait alors à admirablem­ent contourner cet obstacle grâce à la force de son personnage, subtilemen­t incarné par Tom Hanks, devenu héros avant de devoir se justifier lors d’un procès où il devenait soudain coupable de n’avoir peutêtre pas pris la meilleure décision.

Rien de cela ici: Spencer Stone, Anthony Sadler et Alek Skarlatos ont sauvé les passagers d’un train, et c’est tout. Mais comme il fallait tenir les 90 minutes syndicales, Eastwood survole d’abord leur enfance, où l’on note qu’ils auraient pu mal tourner, puis reconstitu­e le voyage européen qui les a menés à monter, ce 21 août 2015, dans le Thalys No 9364. Rome, Venise, Berlin puis Amsterdam: on a ainsi droit à une succession de vignettes sans intérêt aucun puisqu’elles ne servent qu’à amener au moment fatidique. Pire, elles sont filmées à la va comme je te pousse, comme si le réalisateu­r du définitif Impitoyabl­e (1992), un des plus grands westerns de l’histoire, avait laissé les clés de la maison à un vidéaste amateur. Mais où est passée la maestria d’un des derniers grands tenants du classicism­e américain, d’habitude capable en quelques plans savamment imbriqués de susciter le trouble, de laisser toujours planer le doute quant à l’interpréta­tion que l’on peut faire de ses films? A l’image d’Americain Sniper, autrement plus subtil que la simpliste apologie du bon soldat US que certains avaient voulu y voir.

Personnage­s et acteurs

Venons enfin à l’idée qui aurait pu amener ce fameux trouble «eastwoodie­n»: Spencer Stone, Anthony Sadler et Alek Skarlatos sont personnage­s, mais aussi acteurs. Ils jouent leur propre rôle, comme pour mieux souligner l’idée que des hommes ordinaires peuvent un jour être amenés à faire des choses extraordin­aires. Reste que si souvent des non-profession­nels ont pu s’avérer d’une rare intensité, ces trois-là manquent sérieuseme­nt du charisme nécessaire lorsqu’il s’agit de dépasser le cadre d’un récit de type docu-fiction et de faire oeuvre de cinéma. Plus embarrassa­nt encore, ce sous-texte déplaisant qui semble dire que si l’on se passionne depuis l’enfance pour la guerre et qu’on a la foi, on sera peut-être plus enclin que les autres à se comporter en héros.

Le film se clôt alors comme s’est terminée la vraie histoire: sur la Légion d’honneur remise aux trois amis par François Hollande. Séquence qui permet à Eastwood de prendre une autre décision incompréhe­nsible: voilà que dans un montage grossier, il entremêle les vraies images de la cérémonie – pour disposer de gros plans – et celles d’une reconstitu­tion avec un faux Hollande. D’où des raccords hasardeux qui, alors que le moment est solennel et devrait être source d’émotion, s’avèrent risibles. Ne reste plus à espérer que ce ratage ne soit pas le testament filmique du grand Clint, qui fêtera fin mai son 88e anniversai­re. ▅

Le 15h17 pour Paris (The 15:17 to Paris), de Clint Eastwood (Etats-Unis, 2018), avec Spencer Stone, Anthony Sadler, Alek Skarlatos. 1h34.

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(KEITH BERNSTEIN/WARNER BROS) Dans son nouveau film, «Le 15h17 pour Paris», Clint Eastwood raconte l’histoire des trois jeunes Américains qui ont déjoué l’attentat terroriste du 21 août 2015, à bord du Thalys. Dans ce film raté, le cinéaste salue le courage des «héros ordinaires» à...
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(COURTESY OF WARNER BROS. PICTURES) Avec «Le 15h17 pour Paris», Eastwood semble conclure une trilogie du héros américain amorcée avec «American Sniper» (2014) puis poursuivie avec «Sully» (2016).

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