Le tourisme dentaire en plein essor
Soigner ses dents à l’étranger et diviser sa facture par quatre, voici le remède que testent de plus en plus de Suisses pour contourner le coût des soins dentaires locaux. Le tourisme médical est appelé à augmenter de 25% par an ces dix prochaines années
«A Barcelone, on m’a posé une couronne pour 1200 euros alors qu’à Genève le devis s’élevait à 4000 francs. Et pour moins de 100 francs, vous faites l’aller-retour en une journée.» Les Suisses sont de plus en plus nombreux à se rendre à l’étranger pour recevoir des soins dentaires. Face à l’îlot de cherté helvétique, ils optent pour la France voisine, l’Espagne ou la Hongrie. Avant la votation vaudoise sur l’assurance dentaire, éclairage sur le tourisme médical.
Prendre le bateau pour Evian, se rendre en voiture à la frontière allemande, monter dans l’avion pour atteindre Barcelone ou Budapest; les Suisses rivalisent de combines pour échapper aux frais dentaires locaux trop élevés et dénicher un dentiste bon marché à l’étranger. C’est le cas de Pierre, qui, en 1 heure 10 de vol, s’est retrouvé en Catalogne pour se faire soigner les dents. «Pour moins de 100 francs, vous faites l’aller-retour en une journée et la facture des soins espagnole n’a absolument rien à voir avec celle que j’aurais payée en Suisse.» Pierre est venu se faire poser une couronne pour 1200 euros, le devis qu’il avait reçu à Genève se montait à plus de 4000 fr.
Un regrettable effet d’un système inégalitaire
Les données chiffrant le phénomène du tourisme médical en général sont difficiles à réunir. Plus d’une personne sur cinq se serait déjà fait soigner les dents à l’étranger, a avancé mercredi la RTS, se basant sur un sondage Demoscope réalisé pour le compte de la Société suisse des médecins-dentistes. Mais dans le débat sur le remboursement des soins dentaires, sur lequel les Vaudois votent le 4 mars prochain, le recours à des traitements à l’étranger est brandi par les initiants comme le regrettable effet d’un système inégalitaire qu’une assurance des soins dentaires pourrait combler.
Rembourser les soins médicaux à l’étranger
Selon l’OFS, 10% des personnes avec un revenu inférieur à 35000 francs par an renoncent à consulter un dentiste ou vont consulter à l’étranger. Un taux que réfute Stéphane de Buren, directeur de Novacorpus, entreprise suisse spécialisée dans l’organisation de soins médicaux à l’étranger. «Selon l’Observatoire suisse de la santé, ce chiffre est sous-estimé. Plus d’un Suisse sur cinq renonce à soigner ses dents pour des raisons financières. Nous abordons un rationnement des soins médicaux en Suisse, c’est très dangereux.»
L’assurance dentaire obligatoire que propose la gauche vaudoise n’est cependant pas la solution que préconise ce médecin. «Aucun pays n’arrive efficacement à rembourser les gros soins dentaires. La France, par exemple, ne rembourse les couronnes qu’à hauteur de 10%, et ne prend pas en compte les implants. La Suisse ne fera pas exception, par contre elle doit réaliser qu’elle est le dernier pays d’Europe à ne pas rembourser les soins médicaux à l’étranger en dehors des urgences.»
Le tourisme médical pèse plusieurs milliards de dollars à l’échelle de la planète et est appelé à augmenter de 25% par an ces dix prochaines années, démontre une étude récente de Visa et Oxford Economics. «Il faut prendre conscience que le monde a changé et considérer le tourisme dentaire comme une offre supplémentaire», reprend Stéphane de Buren, actuellement à Miami pour ouvrir sa seconde agence de «tourisme médical».
«Nos patients proviennent très largement de la classe moyenne, s’informent par Internet des traitements et de leurs prix dans d’autres pays. Souvent, ils ont vécu à l’étranger, ou travaillent dans le domaine médical, et sont conscients que la qualité des soins ne dépend pas du passeport du médecin.» Six pays figurent au catalogue de la drôle d’agence de voyages que ce médecin genevois de 46 ans a créée en 2008. C’est l’Espagne et la Hongrie qu’il recommande à ses clients souffrant de maux de dents.
Quels sont les risques?
La principale réticence que Stéphane de Buren rencontre chez ses patients est liée au risque qu’ils courent à aller se faire soigner à l’étranger. Que se passe-t-il s’ils font face à une complication sur place ou à leur retour? «Nous sélectionnons des chirurgiens-dentistes de pointe à l’étranger et nous avons un réseau de dentistes en Suisse qui peuvent effectuer un suivi si nécessaire, dont les frais sont couverts par une assurance contractée par le patient.»
Quand au tourisme dentaire de proximité, par exemple en France voisine, le médecin n’en pense pas de mal: «Il y a de bons dentistes partout, il s’agit de les trouver. Et n’oublions pas qu’en Suisse, 75% des nouveaux dentistes sont étrangers.»
Dans la publication Infodents, le journal de la Société suisse des médecins dentistes, on met pourtant en garde les patients contre les risques du tourisme dentaire. Des devis qui ne couvrent pas nécessairement la totalité des frais de traitement aux normes de qualité qui n’ont pas été respectées, en passant par les risques liés à l’absence de suivi thérapeutique ou aux malfaçons, les professionnels ont été confrontés à des patients passés par de mauvaises expériences. Les soins de qualité ont un prix et ce dernier reflète le niveau de vie dans notre pays, statuent-ils, en se positionnant également contre toute assurance dentaire obligatoire.
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DIRECTEUR DE NOVACORPUS «Il faut prendre conscience que le monde a changé et considérer le tourisme dentaire comme une offre supplémentaire»