Allemagne: un accord de coalition, enfin
Les conservateurs d’Angela Merkel et les sociaux-démocrates ont conclu mercredi un accord qui met le SPD en position de force pour convaincre ses militants de valider le contrat
Plus de quatre mois après les élections législatives et au terme d’un ultime marathon de négociations, SPD, CDU et CSU ont conclu mercredi un accord pour former un gouvernement de coalition. Le SPD devrait conserver les Ministères des affaires étrangères et des affaires sociales et gagnerait le poste clé des Finances. L’Intérieur et donc la gestion de la politique migratoire iraient aux conservateurs de la CSU.
Habemus «GroKo»! Sociaux-démocrates et conservateurs allemands ont scellé mercredi leur programme de gouvernement de grande coalition. Dix-huit semaines après les élections, deux semaines de négociations et un dernier marathon nocturne auront encore été nécessaires pour conclure.
Les jeux ne sont pourtant pas encore faits. Le SPD doit maintenant convaincre ses militants de valider ce contrat avant de former le gouvernement. Le résultat de leur vote par correspondance pourrait être connu dès le premier week-end de mars. Mardi, le SPD a confirmé l’adhésion de 25 000 nouveaux militants depuis janvier. Une ruée vers le vote organisée par les Jeunes socialistes, dont le leader, Kevin Kühnert, mène campagne contre le principe même d’une «grande coalition».
Avec les dents
Sous cette pression, la scénographie des dernières heures laissait entendre que les négociateurs SPD arrachaient avec les dents les dernières concessions. La fin des pourparlers était repoussée de jour en jour. Les négociations s’étiraient dans la nuit. Mercredi enfin, Angela Merkel pouvait confirmer un accord pour un «gouvernement stable» avec un programme «dans l’intérêt de la population et des entreprises».
Visiblement épuisé et le débit lent, le leader du SPD, Martin Schulz, saluait pour sa part un accord «marqué par l’empreinte des sociaux-démocrates», tant par son «nouvel élan» pour l’Europe que par l’encadrement du marché du travail.
Martin Schulz ne l’a pas confirmé, mais le SPD remporte aussi trois des ministères clés dans le futur gouvernement Merkel. Le leader SPD est lui-même pressenti pour devenir ministre des Affaires étrangères, avec la tutelle du dossier européen, rapporte la presse allemande.
Marqué par les années de rigueur de Wolfgang Schäuble, le portefeuille des Finances passerait à Olaf Scholz, l’actuel maire de Hambourg. Perçu comme un centriste pragmatique et un bon gestionnaire, il serait aussi vice-chancelier. Le troisième portefeuille important serait celui du Travail et des affaires sociales, dossier sensible pour les militants. L’Environnement ira également aux sociaux-démocrates.
Les conservateurs bavarois – la CSU, alliée de la CDU d’Angela Merkel – tirent aussi très bien leur épingle du jeu malgré leurs piètres résultats lors des dernières élections. Leur leader, Horst Seehofer, quitterait la Bavière pour devenir ministre des «Affaires intérieures et de la patrie». Une dénomination qui serait plus que symbolique pour un parti qui a fait des questions d’immigration son principal cheval de bataille.
Du côté de la CDU, l’heure serait au women power dans un cabinet qu’Angela Merkel avait promis paritaire. L’actuelle ministre de la Défense, Ursula von der Leyen, pourrait rester à son poste. L’une des figures montantes du parti, Julia Klöckner, prendrait l’Agriculture.
«Face à un cabinet aussi puissant, Angela Merkel devra s’imposer pour être visible», analyse Tilman Mayer, politologue de l’Université de Bonn. Pour lui, la chancelière a «payé très cher» la participation du SPD à un gouvernement de coalition.
Sur le contenu, la moisson du SPD est pourtant en demi-teinte. Le contrat de mariage de près de 200 pages fait la part belle à l’UE, annonçant dans son titre même un «nouvel élan pour l’Europe». L’Allemagne devrait contribuer davantage au budget européen après le retrait du Royaume-Uni, s’est félicité Martin Schulz. Toutefois, «qui paie plus doit aussi avoir davantage de contrôle sur les dépenses et sur le choix des investissements», a-t-il précisé. La future GroKo compte plaider à Bruxelles pour un pacte social et pour davantage d’équité fiscale entre les grandes entreprises. Google, Apple, Facebook et Amazon sont explicitement visés.
Du côté suisse, le volet financier du programme sera à surveiller. La future coalition se targue de rendre l’Allemagne «plus attrayante pour les institutions financières» après le retrait de la Grande-Bretagne de l’Union européenne. Avec à la clé une consolidation des règles prudentielles.
Sur le plan intérieur, le programme de gouvernement annonce pas moins de 46 milliards d’euros d’investissement pour le très haut débit, le logement social ou l’éducation notamment.
Dans les dernières heures de la nuit, les négociateurs étaient arrivés en outre à un accord sur l’encadrement des contrats à durée déterminée. En revanche, la remise à plat du système d’assurance santé a été renvoyée à une commission d’étude.
Horst Seehofer, leader des conservateurs bavarois de la CSU, Angela Merkel et Martin Schulz, patron du SPD, après la signature de l’accord. «Face à un cabinet aussi puissant, Angela Merkel devra s’imposer pour être visible» TILMAN MAYER, POLITOLOGUE À L’UNIVERSITÉ DE BONN
Globalement, «le contrat est un signal positif», analyse Marcel Fratzscher, président de l’Institut de recherches économiques de Berlin, la DIW. Pour autant, il se conclut sur les questions des retraites ou de la santé «par de vagues promesses dont le financement reste à déterminer».
Le président de la puissante association des contribuables allemands, Reiner Holznagel, est de fait très critique à l’égard d’un programme qui «coûtera cher, tout en ne profitant qu’à un petit nombre». Les industriels grincent également des dents. Il y a «trop de redistribution» et trop peu d’investissements dans l’avenir, estime Dieter Kempf, président de l’association de l’industrie allemande, le BDI.
«Je sais que nous serons très critiqués, mais ce contrat constitue un bon équilibre», assurait mercredi Angela Merkel. Beaucoup de militants SPD devraient voter davantage par raison que par passion, alors que les derniers sondages leur promettent moins de 17% des votes en cas de nouvelles élections, soit deux points d’avance seulement sur l’extrême droite de l’AfD.
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