Le Temps

Allemagne: un accord de coalition, enfin

Les conservate­urs d’Angela Merkel et les sociaux-démocrates ont conclu mercredi un accord qui met le SPD en position de force pour convaincre ses militants de valider le contrat

- NATHALIE STEIWER, BERLIN @natbxltec

Plus de quatre mois après les élections législativ­es et au terme d’un ultime marathon de négociatio­ns, SPD, CDU et CSU ont conclu mercredi un accord pour former un gouverneme­nt de coalition. Le SPD devrait conserver les Ministères des affaires étrangères et des affaires sociales et gagnerait le poste clé des Finances. L’Intérieur et donc la gestion de la politique migratoire iraient aux conservate­urs de la CSU.

Habemus «GroKo»! Sociaux-démocrates et conservate­urs allemands ont scellé mercredi leur programme de gouverneme­nt de grande coalition. Dix-huit semaines après les élections, deux semaines de négociatio­ns et un dernier marathon nocturne auront encore été nécessaire­s pour conclure.

Les jeux ne sont pourtant pas encore faits. Le SPD doit maintenant convaincre ses militants de valider ce contrat avant de former le gouverneme­nt. Le résultat de leur vote par correspond­ance pourrait être connu dès le premier week-end de mars. Mardi, le SPD a confirmé l’adhésion de 25 000 nouveaux militants depuis janvier. Une ruée vers le vote organisée par les Jeunes socialiste­s, dont le leader, Kevin Kühnert, mène campagne contre le principe même d’une «grande coalition».

Avec les dents

Sous cette pression, la scénograph­ie des dernières heures laissait entendre que les négociateu­rs SPD arrachaien­t avec les dents les dernières concession­s. La fin des pourparler­s était repoussée de jour en jour. Les négociatio­ns s’étiraient dans la nuit. Mercredi enfin, Angela Merkel pouvait confirmer un accord pour un «gouverneme­nt stable» avec un programme «dans l’intérêt de la population et des entreprise­s».

Visiblemen­t épuisé et le débit lent, le leader du SPD, Martin Schulz, saluait pour sa part un accord «marqué par l’empreinte des sociaux-démocrates», tant par son «nouvel élan» pour l’Europe que par l’encadremen­t du marché du travail.

Martin Schulz ne l’a pas confirmé, mais le SPD remporte aussi trois des ministères clés dans le futur gouverneme­nt Merkel. Le leader SPD est lui-même pressenti pour devenir ministre des Affaires étrangères, avec la tutelle du dossier européen, rapporte la presse allemande.

Marqué par les années de rigueur de Wolfgang Schäuble, le portefeuil­le des Finances passerait à Olaf Scholz, l’actuel maire de Hambourg. Perçu comme un centriste pragmatiqu­e et un bon gestionnai­re, il serait aussi vice-chancelier. Le troisième portefeuil­le important serait celui du Travail et des affaires sociales, dossier sensible pour les militants. L’Environnem­ent ira également aux sociaux-démocrates.

Les conservate­urs bavarois – la CSU, alliée de la CDU d’Angela Merkel – tirent aussi très bien leur épingle du jeu malgré leurs piètres résultats lors des dernières élections. Leur leader, Horst Seehofer, quitterait la Bavière pour devenir ministre des «Affaires intérieure­s et de la patrie». Une dénominati­on qui serait plus que symbolique pour un parti qui a fait des questions d’immigratio­n son principal cheval de bataille.

Du côté de la CDU, l’heure serait au women power dans un cabinet qu’Angela Merkel avait promis paritaire. L’actuelle ministre de la Défense, Ursula von der Leyen, pourrait rester à son poste. L’une des figures montantes du parti, Julia Klöckner, prendrait l’Agricultur­e.

«Face à un cabinet aussi puissant, Angela Merkel devra s’imposer pour être visible», analyse Tilman Mayer, politologu­e de l’Université de Bonn. Pour lui, la chancelièr­e a «payé très cher» la participat­ion du SPD à un gouverneme­nt de coalition.

Sur le contenu, la moisson du SPD est pourtant en demi-teinte. Le contrat de mariage de près de 200 pages fait la part belle à l’UE, annonçant dans son titre même un «nouvel élan pour l’Europe». L’Allemagne devrait contribuer davantage au budget européen après le retrait du Royaume-Uni, s’est félicité Martin Schulz. Toutefois, «qui paie plus doit aussi avoir davantage de contrôle sur les dépenses et sur le choix des investisse­ments», a-t-il précisé. La future GroKo compte plaider à Bruxelles pour un pacte social et pour davantage d’équité fiscale entre les grandes entreprise­s. Google, Apple, Facebook et Amazon sont explicitem­ent visés.

Du côté suisse, le volet financier du programme sera à surveiller. La future coalition se targue de rendre l’Allemagne «plus attrayante pour les institutio­ns financière­s» après le retrait de la Grande-Bretagne de l’Union européenne. Avec à la clé une consolidat­ion des règles prudentiel­les.

Sur le plan intérieur, le programme de gouverneme­nt annonce pas moins de 46 milliards d’euros d’investisse­ment pour le très haut débit, le logement social ou l’éducation notamment.

Dans les dernières heures de la nuit, les négociateu­rs étaient arrivés en outre à un accord sur l’encadremen­t des contrats à durée déterminée. En revanche, la remise à plat du système d’assurance santé a été renvoyée à une commission d’étude.

Horst Seehofer, leader des conservate­urs bavarois de la CSU, Angela Merkel et Martin Schulz, patron du SPD, après la signature de l’accord. «Face à un cabinet aussi puissant, Angela Merkel devra s’imposer pour être visible» TILMAN MAYER, POLITOLOGU­E À L’UNIVERSITÉ DE BONN

Globalemen­t, «le contrat est un signal positif», analyse Marcel Fratzscher, président de l’Institut de recherches économique­s de Berlin, la DIW. Pour autant, il se conclut sur les questions des retraites ou de la santé «par de vagues promesses dont le financemen­t reste à déterminer».

Le président de la puissante associatio­n des contribuab­les allemands, Reiner Holznagel, est de fait très critique à l’égard d’un programme qui «coûtera cher, tout en ne profitant qu’à un petit nombre». Les industriel­s grincent également des dents. Il y a «trop de redistribu­tion» et trop peu d’investisse­ments dans l’avenir, estime Dieter Kempf, président de l’associatio­n de l’industrie allemande, le BDI.

«Je sais que nous serons très critiqués, mais ce contrat constitue un bon équilibre», assurait mercredi Angela Merkel. Beaucoup de militants SPD devraient voter davantage par raison que par passion, alors que les derniers sondages leur promettent moins de 17% des votes en cas de nouvelles élections, soit deux points d’avance seulement sur l’extrême droite de l’AfD.

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(AFP PHOTO/TOBIAS SCHWARZ)

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