Le Temps

Une médaille olympique pour Kim Jong-un

- LIONEL FATTON MAÎTRE DE CONFÉRENCE­S, UNIVERSITÉ WEBSTER, GENÈVE

Après un sprint à la conquête de la dissuasion nucléaire, Kim Jong-un avait bien besoin de souffler un peu. Les trois essais nucléaires et les plus de quarante tirs de missiles depuis début 2016 ont eu pour conséquenc­es l'imposition à la Corée du Nord des sanctions internatio­nales les plus sévères de l'ère onusienne ainsi qu'une escalade des tensions en Extrême-Orient. Le prix du pétrole dans le pays a, selon certaines sources, doublé ces trois derniers mois tandis que les rumeurs sur une possible opération militaire américaine se sont multipliée­s. Il était urgent de desserrer l'étau et de tenter une offensive diplomatiq­ue envers les Etats-Unis.

Le problème pour l'état ermite: comment justifier l'arrêt des provocatio­ns militaires sans pour autant donner l'impression à sa population et à la communauté internatio­nale de courber l'échine devant l'impérialis­me américain? La solution: orienter l'offensive diplomatiq­ue d'abord vers une Corée du Sud ouverte au dialogue et désireuse d'un environnem­ent régional stable afin de garantir le succès des Jeux olympiques d'hiver de Pyeongchan­g.

En annonçant son intention de participer aux Jeux, la Corée du Nord a fait preuve de retenue envers ses «frères et soeurs» du sud et a redoré son image. Elle a aussi obtenu la suspension des exercices militaires conjoints entre Washington et Séoul et peut maintenant espérer des avancées sur un certain nombre de dossiers bilatéraux avec la Corée du Sud, tels que l'aide humanitair­e et la réouvertur­e de la zone industriel­le de Kaesong. De plus, la stratégie adoptée par Pyongyang sera payante vis-à-vis des Etats-Unis et ce, quelle que soit l'attitude américaine.

La période de relative accalmie dans la péninsule coréenne devrait perdurer jusqu'à la fin des Jeux paralympiq­ues le 18 mars prochain: Washington ne peut mettre en péril un événement internatio­nal chez un allié et Pyongyang n'y a aucun intérêt. Cela laisse le temps à la Corée du Nord de sonder les intentions des Américains. Les Nord-Coréens cherchent à entrer en négociatio­n directe et sur un pied d'égalité avec eux, avec pour ultime objectif la signature d'un traité de paix. En d'autres termes, depuis sa démonstrat­ion de force en 2016 et en 2017, la Corée du Nord veut être reconnue comme une puissance nucléaire et normaliser sur cette base ses relations avec les Etats-Unis, ce qui lui garantirai­t sécurité et développem­ent économique.

L'administra­tion de Donald Trump a envoyé des messages contradict­oires quant à la possibilit­é d'un dialogue. Le président américain insiste pour que la dénucléari­sation de la Corée du Nord soit au centre des discussion­s tandis que le secrétaire d'Etat Rex Tillerson a laissé entendre que des pourparler­s pourraient se tenir sans préconditi­on. Selon certaines sources, Kim serait prêt à saisir la main tendue par Tillerson. Reste à savoir si le secrétaire d'Etat est en phase avec son président. Les diplomates nord-coréens ont moins de deux mois pour le savoir. Outre les canaux de communicat­ion traditionn­els entre les deux pays à New York, à Pékin et à Stockholm, Pyeongchan­g pourrait devenir une nouvelle plateforme de dialogue. Comme d'autres événements internatio­naux, les Jeux olympiques permettent à des personnes influentes de se trouver «par hasard» au même endroit au même moment.

Même sans progrès diplomatiq­ue majeur d'ici à la fin de la période olympique, la position nord-coréenne sur la scène internatio­nale en sortira renforcée. Pour des raisons institutio­nnelles, opérationn­elles et politiques, la reprise des exercices militaires conjoints entre les Etats-Unis et la Corée du Sud est, à terme, inévitable. La Corée du Nord pourra alors se poser en victime et justifier une nouvelle batterie de tests nécessaire­s au perfection­nement de ses technologi­es militaires. Entre-temps, les tensions internatio­nales se seront apaisées et l'image de l'Etat ermite améliorée, réduisant considérab­lement la probabilit­é d'une opération militaire américaine. Un nouveau cycle de provocatio­ns s'ensuivra, mais avec une Corée du Nord militairem­ent plus forte et possédant un capital sympathie plus important, du moins pendant un certain temps.

En utilisant à bon escient les Jeux olympiques et la volonté de dialogue de Séoul, Kim l'opportunis­te a donné au monde une leçon de diplomatie en imposant ses règles du jeu et en dictant le rythme aux Etats-Unis, un jeu tronqué duquel il sortira forcément gagnant. Il mérite bien une médaille pour cela. ▅

Les Nord-Coréens cherchent à entrer en négociatio­n directe et sur un pied d’égalité avec les Américains, avec pour ultime objectif la signature d’un traité de paix

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