Le Temps

Une nouvelle crise financière?

- CHARLES WYPLOSZ

Depuis quelques jours, les bourses chutent un peu partout sur la planète, battant parfois des records établis il y a dix ans. Juste au moment où, enfin, l'économie mondiale semblait avoir émergé des lourdes conséquenc­es économique­s, sociales et politiques, de la crise financière, c'est vraiment désagréabl­e, voire même angoissant.

Comme toujours lorsque éclate une crise financière, on s’aperçoit qu’un certain nombre d’observateu­rs en parlaient depuis quelque temps. Depuis plus de deux ans, le Prix Nobel Robert Shiller considère que les cours boursiers à New York et ailleurs sont trop hauts, et pourtant ils ne cessent de monter. D'après lui, et bien d'autres, une correction – donc une chute importante – est devenue inévitable. D'un autre côté, dans sa dernière revue qui examine tous les pronostics des plus inquiétant­s aux plus optimistes, la banque Goldman Sachs écrit qu'elle ne change pas son opinion selon laquelle les investisse­urs ne doivent pas fuir la bourse, même si elle n'écarte pas la possibilit­é d'une correction de 4% à 10% en 2018, peu de chose après la hausse de 300% observée depuis 2008. Et voilà que les investisse­urs déguerpiss­ent en panique et que les bourses ont déjà chuté de 4% à 10% en quelques jours.

En général, une crise passe par trois phases. Tout commence par un événement en apparence banal, qui déclenche instantané­ment un mouvement de panique. Après quelques jours, la situation se calme pendant que tout le petit monde de la finance essaie de comprendre ce qui s'est passé. Parfois, la conclusion est que la panique était injustifié­e et tout rentre dans l'ordre. Mais parfois on découvre de graves problèmes ignorés, c'est alors la troisième phase, une véritable débandade. Nous sommes dans la première phase. Elle a été déclenchée aux Etats-Unis par la publicatio­n de statistiqu­es qui font apparaître une hausse nette des salaires. Cela fait au moins trois ans que personne ne comprend pourquoi les hausses de salaires sont restées si faibles alors que le taux de chômage est à un niveau historique­ment bas, déjouant les calculs des banques centrales qui se désespèren­t de ne pas arriver à faire remonter l'inflation vers l'objectif universell­ement adopté de 2%. Que les salaires remontent enfin devrait être une bonne nouvelle, le couronneme­nt des efforts quasi herculéens de toutes les banques centrales.

Eh bien non. Loin de se réjouir, les marchés ont conclu que les banques centrales allaient rapidement faire remonter leurs taux d’intérêt, ce qui devrait renchérir le crédit et faire baisser (un peu) les cours boursiers. Tout le monde ressasse ce scénario parfaiteme­nt classique depuis trois ans, alors pourquoi ce vent de panique? Parce que les derniers chiffres publiés – ceux concernant les salaires aux Etats-Unis – ont surpris. Les marchés s'étaient préparés au scénario habituel, mais voilà que ça ne se passe pas exactement comme prévu. Rien de grave, il faut s'adapter à ce léger changement et donc accepter que les taux d'intérêt puissent bien remonter plus vite que prévu, et donc que la modeste correction boursière est pour demain, pas pour après-demain. Mais si tout le monde essaie d'éviter cette correction en vendant des actions, la correction se produit aujourd'hui, provoquant des pertes qui relancent les ventes et donc la baisse des cours et le montant des pertes.

La deuxième phase va arriver (elle pourrait être là lors de la parution de cet article préparé il y a deux jours). Il est possible que les marchés concluent que, comme souvent, ils ont surréagi, et cet épisode sera clos. La correction tant attendue aura eu lieu et l'horizon sera dégagé. Mais il est aussi possible que l'on découvre quelque chose de grave. Ce peut être que quelques grandes institutio­ns financière­s se sont mal préparées à la remontée des taux d'intérêt ou que des opérations trop complexes pour être bien comprises vont créer des pertes énormes ici ou là. Dans ce cas-là, on entrera dans la troisième phase et ça pourrait faire très mal. Le pire n'est pas le plus probable, mais on ne peut pas l'écarter. A mon avis, il est trop tôt pour s'angoisser car la croissance mondiale est suffisamme­nt solide pour absorber le dernier caprice en date des marchés boursiers. ▅

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