Le Temps

Gare à la colère des «terroirs»!

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Il fallait à Emmanuel Macron une rencontre emblématiq­ue avec la France profonde. Un moment d'authentici­té calculé pour damer le pion à la poussée néoconserv­atrice qu'entend mener Laurent Wauquiez, nouveau patron d'une droite prétendume­nt enracinée dans ces «territoire­s». Une tentative pour se rassurer, aussi, sur le lien sacré entre sa République en marche et la vieille République des mairies de village, des clochers catholique­s devenus muets faute de fidèles et des bourgs désertés faute de commerces et d'habitants…

L'endroit sélectionn­é fut donc parfait. Au-dessus de Clermont-Ferrand, au coeur du parc des Volcans, le lac Chauvet est au centre de l'Auvergne, désormais reliée administra­tivement à Rhône-Alpes au sein d'une même région présidée… par ledit Wauquiez, élu de Haute-Loire. La date était parfaite aussi: deux jours de goguette auvergnate, les 25 et 26 janvier, au retour de Davos. Le tout lesté de deux rencontres en forme de retour aux sources. Un aparté avec Louis Giscard d'Estaing, maire de Chamalière­s mais surtout fils – et presque sosie – de son père VGE, qui, en 1974, prit d'assaut l'Elysée à 48 ans, en promettant (déjà) de transforme­r la France. Puis un déjeuner au bord du lac avec l'ancien sénateur socialiste Michel Charasse, dépositair­e de la mémoire de François Mitterrand, ce président qui venait chaque année au bord du lac Chauvet.

Coupez! La prise fut évidemment bonne, illustrée comme chaque fois par les clichés glamours – et aussitôt partagés sur Internet – de la photograph­e présidenti­elle Soazig de la Moissonniè­re. Mais comment ne pas y voir, après dix mois de quinquenna­t, le reflet d'un vide abyssal dans lequel ce chef de l'Etat si «global» craint à l'évidence de trébucher? Côté pile, Emmanuel Macron attablé à l'Auberge du Lac, à déguster le menu des années Mitterrand, et à se jouer des fantômes du passé, comme l'a si finement raconté Solenn de Royer dans Le Monde. Coté face, le même jour, la ruée constatée dans plusieurs supermarch­és du Nord, de l'Oise ou du Rhône, pour rafler des pots de Nutella bradés 1,40 euro contre 4,70 euros habituelle­ment. Délices industriel­s contre saveurs locales… Avec, en arrière-plan, le scandale Lactalis, du nom de l'un des tout premiers groupes agroalimen­taires français, responsabl­e d'avoir écoulé des stocks de lait contaminés à la salmonelle…

Vous direz que ces choses n'ont rien à voir. Que la beauté des «terroirs» hexagonaux, dont les politiques abusent pour leurs affiches électorale­s, n'est en rien menacée par le fait que la France est le pays d'Europe qui compte le plus de grandes surfaces. Et où, comme l'expliquait récemment Natacha Polony dans une excellente chronique du Figaro, «931000 mètres carrés seront bétonnés l'an prochain pour construire des centres commerciau­x». Impossible, hélas, de ne pas faire le rapprochem­ent quand, au Sénat ces derniers jours, les élus des «territoire­s en colère» se sont réunis pour tirer à boulets rouges sur Emmanuel Macron, «enfant de la haute administra­tion d'Etat mondialisé­e et des grands groupes du CAC 40». D'un côté, la posture du terroir. De l'autre, la fracture des territoire­s où des population­s, appauvries, se sentent délaissées, abandonnée­s, livrées pieds et poings liés à des filières agroalimen­taires dont elles sont devenues l'otage.

Le rendez-vous auvergnat devait permettre au locataire de l'Elysée de présenter ses voeux au monde rural et de vanter «les produits agricoles de qualité» auxquels les Français sont attachés. Soit. Mais hormis la mise en route, fin janvier, d'un projet de loi pour «créer des filières par territoire­s», rien de tangible. Aucune affirmatio­n de volonté identique à celle que le ministre des Finances Bruno Le Maire déploie pour attirer banques et institutio­ns financière­s en France. Aucune passion pour cette Ferme aux mille terroirs que raconte Olivier Nouaillas dans un livre passionnan­t (Ed. du Chêne).

Désolé Monsieur le président. Il ne suffit pas d'un pèlerinage auvergnat, fabriqué pour damer le pion à votre opposant en chef, pour redonner de l'espoir à cette France éloignée des métropoles, déstabilis­ée par la désertion des centres-villes et des bourgs, majoritair­ement peuplée d'anciens maltraités dans les maisons de retraite et terribleme­nt inquiets de la disparitio­n des services publics. Vos terroirs sont devenus des décors. Gare! Car ils continuent d'être habités par des électeurs dont la colère pétrie d'angoisses pourrait bien, plus vite que prévu, rattraper vos élus «marcheurs» au pas de charge.

D’un côté, la posture du terroir. De l’autre, la fracture des territoire­s où des population­s, appauvries, se sentent délaissées

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