Gare à la colère des «terroirs»!
Il fallait à Emmanuel Macron une rencontre emblématique avec la France profonde. Un moment d'authenticité calculé pour damer le pion à la poussée néoconservatrice qu'entend mener Laurent Wauquiez, nouveau patron d'une droite prétendument enracinée dans ces «territoires». Une tentative pour se rassurer, aussi, sur le lien sacré entre sa République en marche et la vieille République des mairies de village, des clochers catholiques devenus muets faute de fidèles et des bourgs désertés faute de commerces et d'habitants…
L'endroit sélectionné fut donc parfait. Au-dessus de Clermont-Ferrand, au coeur du parc des Volcans, le lac Chauvet est au centre de l'Auvergne, désormais reliée administrativement à Rhône-Alpes au sein d'une même région présidée… par ledit Wauquiez, élu de Haute-Loire. La date était parfaite aussi: deux jours de goguette auvergnate, les 25 et 26 janvier, au retour de Davos. Le tout lesté de deux rencontres en forme de retour aux sources. Un aparté avec Louis Giscard d'Estaing, maire de Chamalières mais surtout fils – et presque sosie – de son père VGE, qui, en 1974, prit d'assaut l'Elysée à 48 ans, en promettant (déjà) de transformer la France. Puis un déjeuner au bord du lac avec l'ancien sénateur socialiste Michel Charasse, dépositaire de la mémoire de François Mitterrand, ce président qui venait chaque année au bord du lac Chauvet.
Coupez! La prise fut évidemment bonne, illustrée comme chaque fois par les clichés glamours – et aussitôt partagés sur Internet – de la photographe présidentielle Soazig de la Moissonnière. Mais comment ne pas y voir, après dix mois de quinquennat, le reflet d'un vide abyssal dans lequel ce chef de l'Etat si «global» craint à l'évidence de trébucher? Côté pile, Emmanuel Macron attablé à l'Auberge du Lac, à déguster le menu des années Mitterrand, et à se jouer des fantômes du passé, comme l'a si finement raconté Solenn de Royer dans Le Monde. Coté face, le même jour, la ruée constatée dans plusieurs supermarchés du Nord, de l'Oise ou du Rhône, pour rafler des pots de Nutella bradés 1,40 euro contre 4,70 euros habituellement. Délices industriels contre saveurs locales… Avec, en arrière-plan, le scandale Lactalis, du nom de l'un des tout premiers groupes agroalimentaires français, responsable d'avoir écoulé des stocks de lait contaminés à la salmonelle…
Vous direz que ces choses n'ont rien à voir. Que la beauté des «terroirs» hexagonaux, dont les politiques abusent pour leurs affiches électorales, n'est en rien menacée par le fait que la France est le pays d'Europe qui compte le plus de grandes surfaces. Et où, comme l'expliquait récemment Natacha Polony dans une excellente chronique du Figaro, «931000 mètres carrés seront bétonnés l'an prochain pour construire des centres commerciaux». Impossible, hélas, de ne pas faire le rapprochement quand, au Sénat ces derniers jours, les élus des «territoires en colère» se sont réunis pour tirer à boulets rouges sur Emmanuel Macron, «enfant de la haute administration d'Etat mondialisée et des grands groupes du CAC 40». D'un côté, la posture du terroir. De l'autre, la fracture des territoires où des populations, appauvries, se sentent délaissées, abandonnées, livrées pieds et poings liés à des filières agroalimentaires dont elles sont devenues l'otage.
Le rendez-vous auvergnat devait permettre au locataire de l'Elysée de présenter ses voeux au monde rural et de vanter «les produits agricoles de qualité» auxquels les Français sont attachés. Soit. Mais hormis la mise en route, fin janvier, d'un projet de loi pour «créer des filières par territoires», rien de tangible. Aucune affirmation de volonté identique à celle que le ministre des Finances Bruno Le Maire déploie pour attirer banques et institutions financières en France. Aucune passion pour cette Ferme aux mille terroirs que raconte Olivier Nouaillas dans un livre passionnant (Ed. du Chêne).
Désolé Monsieur le président. Il ne suffit pas d'un pèlerinage auvergnat, fabriqué pour damer le pion à votre opposant en chef, pour redonner de l'espoir à cette France éloignée des métropoles, déstabilisée par la désertion des centres-villes et des bourgs, majoritairement peuplée d'anciens maltraités dans les maisons de retraite et terriblement inquiets de la disparition des services publics. Vos terroirs sont devenus des décors. Gare! Car ils continuent d'être habités par des électeurs dont la colère pétrie d'angoisses pourrait bien, plus vite que prévu, rattraper vos élus «marcheurs» au pas de charge.
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D’un côté, la posture du terroir. De l’autre, la fracture des territoires où des populations, appauvries, se sentent délaissées