Le Temps

Primes d’assurance et coûts de la santé en question

- PHILIPPE EGGIMANN PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ VAUDOISE DE MÉDECINE

La hausse des coûts de la santé et la soi-disant responsabi­lité du corps médical sont largement médiatisée­s. Les progrès médicaux, qui ont permis d’atteindre la 2e espérance de vie la plus élevée au monde (83 ans), le sont nettement moins. Malgré les coûts effectivem­ent induits par les soins à une population plus âgée, il convient d’abord de se réjouir de ce succès.

Il vaut aussi la peine d’expliquer pourquoi les primes d’assurance maladie obligatoir­e (AOS) connaissen­t une croissance annuelle par habitant plus forte que celle des coûts globaux de la santé (3,6% contre 2,7% entre 1995 et 2015), alors qu’elles n’en financent guère plus du tiers.

Le principal responsabl­e est le transfert progressif de prestation­s hospitaliè­res (45% à charge de l’AOS) vers l’ambulatoir­e, rendu possible par les progrès techniques et la disponibil­ité des compétence­s médicales. Ce transfert permet une économie globale de 30% à saluer. Par contre, il génère une augmentati­on simultanée de près de 50% de la part à charge de l’AOS, qui finance l’ensemble des coûts ambulatoir­es, au-delà des montants à charge des patients (franchise, quote-part).

Pour le canton de Vaud, l’analyse des chiffres clés des hôpitaux révèle l’importance de ce phénomène. Depuis l’introducti­on des forfaits en 2012, la hausse des coûts stationnai­res hospitalie­rs à charge de l’AOS a été réduite à 2,4% par an entre 2012 et 2015. Mais la facturatio­n de l’ambulatoir­e hospitalie­r a, pendant ce temps, progressé de 6% par an, avec un volume désormais supérieur à celui des cabinets médicaux indépendan­ts.

Le développem­ent positif de l’autonomie des personnes âgées contribue également à la hausse plus rapide des primes que des coûts. Prenons l’exemple d’une octogénair­e suivie pour un diabète et une hypertensi­on ayant bénéficié du dépistage et traitement précoce de polypes de son colon et de mélanomes cutanés non invasifs. Vivant seule, c’est grâce au remplaceme­nt de ses deux cristallin­s atteints de cataracte et d’une prothèse de genou qu’elle reste autonome. Sans ces traitement­s, sa dépendance aurait nécessité son institutio­nnalisatio­n depuis de nombreuses années. Les économies de prise en charge réalisées par rapport à un séjour en EMS le sont donc au prix de prestation­s pratiqueme­nt exclusivem­ent à charge de l’AOS.

On peut dès lors s’étonner que l’interventi­on tarifaire du Conseil fédéral depuis le 1er janvier 2018, avec l’objectif d’économiser 470 millions de francs par an (0,6% des coûts de la santé ou 1,5% du montant total des primes AOS), concerne exclusivem­ent les prestation­s médicales ambulatoir­es générant de la qualité de vie et des économies. Par ailleurs, ces prestation­s ne représente­nt que 40,5% des coûts à charge de l’AOS (cabinets indépendan­ts: 23,1%; ambulatoir­e hospitalie­r: 17,4%). Dans tous les cas, l’impact sur les primes d’assurance maladie risque fort d’être limité.

La baisse visée d’environ 3.7% du chiffre d’affaires des cabinets pourrait cependant induire une nouvelle hausse des coûts de la santé et des primes, avec au surplus un rationneme­nt des soins et une médecine à deux vitesses. Les réductions tarifaires de plus de 30% pour de nombreuses prestation­s chirurgica­les font en effet courir le risque que les prestation­s en dessous du seuil de rentabilit­é des infrastruc­tures ambulatoir­es ne soient plus réservées qu’aux patients pouvant mettre la différence, ou doivent à nouveau être réalisées au cours d’une hospitalis­ation.

Il est souhaitabl­e que cesse la multiplica­tion des effets d’annonce de solutions aussi miraculeus­es que désordonné­es. La voix du terrain des médecins doit être entendue, et les propositio­ns des politiques susciter un véritable débat de société. ▅

Il est souhaitabl­e que cesse la multiplica­tion des effets d’annonce de solutions aussi miraculeus­es que désordonné­es

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