Le Temps

Les investisse­urs pris au piège de la volatilité

- MATHILDE FARINE, ZURICH @MathildeFa­rine

La volatilité est devenue un produit financier. Des milliards ont été investis pour profiter de son niveau faible. Or, avec son retour depuis la fin de la semaine dernière, les pertes ont été violentes

C'est une grande vérité que Rob Sharps, responsabl­e des investisse­ments pour une société de gestion américaine, T. Rowe Price, a rappelé dans une note publiée mardi matin. «Les turbulence­s font partie intégrante de la vie des marchés des actions.» Avant de poursuivre: «Un fait que certains investisse­urs ont peut-être négligé avec la volatilité remarquabl­ement faible ces deux dernières années.»

La volatilité représente la mesure des mouvements sur les marchés financiers. Plus elle est faible, plus les marchés sont euphorique­s; plus elle augmente, plus ils sont inquiets. Or, ces deux dernières années, la volatilité n'était pas simplement aux abonnés absents, elle a été jusqu'à faire l'objet d'un nouveau thème d'investisse­ment.

Les investisse­urs l'ont «shortée». C'est-à-dire qu'ils ont misé, via des produits financiers, sur le fait qu'elle continuera­it à baisser ou qu'elle resterait très faible. Le VIX, l'indice qui mesure les mouvements des actions américaine­s du S&P 500, avait atteint début janvier son niveau le plus bas depuis 1993.

Pris par surprise

Au point que cet investisse­ment est devenu le «hot trade» de Wall Street. Des milliards de dollars ont été investis dans des via des contrats à terme sur des indices, comme le VIX ou le MOVE – son équivalent pour les obligation­s souveraine­s américaine­s –, mesurant tous l'aversion au risque sur les marchés. Sans compter, d'après Bloomberg, jusqu'à 2000 milliards d'investisse­ment qui sont liés à la volatilité d'une façon ou d'une autre.

«La volatilité est devenue un thème d'investisse­ment, car elle représenta­it un moyen d'augmenter les performanc­es dans un contexte de taux bas», explique Stefan Gerlach, chef économiste à la banque EFG. Les marchés étant en mode ascension en continu, l'économie mondiale en croissance, les taux stables, tout comme l'inflation, «les investisse­urs pensaient que la situation pourrait durer encore un moment et qu'ils pouvaient en profiter», poursuit l'expert.

Jusqu'à la fin de la semaine dernière. La volatilité est depuis remontée en flèche, prenant par surprise les investisse­urs. Et pas que des petits. De grands investisse­urs aussi se sont brûlé les doigts ces derniers jours.

Des excuses du «fond du coeur»

Plusieurs fonds ont dû annoncer leur fermeture mardi. Comme celui de Credit Suisse XIV, qui figurait parmi les plus populaires. Il avait attiré jusqu'à 2,2 milliards de dollars pour profiter de la faible volatilité et a perdu 96% de sa valeur avec la chute des bourses lundi. La banque japonaise Nomura a fait de même, s'excusant «du fond du coeur pour le dérangemen­t causé».

Si Credit Suisse dit n'avoir pas subi de pertes liées à cette déroute, sa réputation pourrait, elle, en souffrir. Car beaucoup signalaien­t les risques de cette stratégie. C'est le cas de Loïc Schmid, responsabl­e des investisse­ments de la société genevoise 1875 Finance: «Les gens pensaient avoir trouvé un moyen facile de gagner de l'argent. Mais on sait qu'il y a deux ou trois chocs par année qui font bondir la volatilité et que c'est donc très risqué.»

Le casino, rien de plus

Pour Loïc Schmid, «il vaudrait mieux arrêter avec ces produits qui ont tendance à amplifier les baisses sur les marchés». Plus la volatilité augmente, plus ceux qui l'ont «shortée» doivent en racheter pour couvrir leurs positions. Or, ce faisant, ils augmentent encore la volatilité.

L'un des co-inventeurs de l'indice VIX se montre également critique: «Dans mon imaginatio­n la plus folle, je ne vois pas pourquoi ces produits existent», a expliqué Devesh Shah. Pour lui, cet indice n'est qu'un moyen de prendre la températur­e sur les marchés, pas un investisse­ment, sauf si on joue au casino. Le thermomètr­e qui fait chauffer les marchés. ▅

Le fonds XIV de Credit Suisse a perdu 96% de sa valeur avec la chute des bourses lundi

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