Le futsal, feutré mais sans feutrine
Vous vous souvenez des Placette Indoors, de la moquette verte et du ballon jaune? Oubliez. Le football en salle est mort; vive le futsal, dont le championnat d’Europe se déroule actuellement en Slovénie, dans une relative indifférence
Tout le monde a joué au futsal. Au moins jusqu’à ce que le concierge déboule et rappelle en fulminant qu’«il est interdit de jouer au pied dans la salle de gym!». Le futsal, contraction de fútbol de salón («football de salon»), discipline codifiée en 1930 à Montevideo par l’Argentin Juan Carlos Ceriani, c’est grosso modo ça: cinq contre cinq sur un terrain de handball, avec des cages de handball et un petit ballon pesant qui rebondit peu.
Peu connue du grand public francophone, qui ignore souvent jusqu’à son nom, cette discipline n’a cessé de gagner des adeptes depuis son introduction en Europe en 1975. Ses thuriféraires assurent qu’il s’agit aujourd’hui du sport de salle le plus pratiqué au monde. Ce qui est sûr, c’est que le futsal n’a cessé de se développer: première Coupe du monde en 1989, premier Euro en 1998, première Coupe d’Europe des clubs en 2001. La saison prochaine verra l’UEFA organiser la première Ligue des champions, le premier Euro M19 et le premier Euro féminin de futsal.
L’Euro 2018 se déroule actuellement en Slovénie (jusqu’au 10 février). Pour la première fois, la phase finale réunit 12 équipes. Jeudi, les demi-finales opposent la Russie et le Portugal, le Kazakhstan et l’Espagne. Comme au football à 11, Espagnols et Portugais dominent. Et comme à 11, la star est un Portugais évoluant en Espagne, champion d’Europe en titre, multiple Ballon d’or et buteur en série. Il s’appelle Ricardinho et son coup du foulard contre la Roumanie fait le tour du Web.
LS, champion de Suisse en 1997
Mais il y a une différence de taille avec le football: le futsal n’intéresse pas grand monde. En Slovénie, les tribunes sont à moitié vides. En France, pays qualifié pour la première fois, la chaîne L’Equipe TV retransmet les matches (elle diffuse aussi de la pétanque et du biathlon) mais le quotidien sportif ne consacre chaque jour qu’une brève à la compétition.
En Suisse, l’image du futsal est brouillée par le souvenir du tournoi Indoors de Genève dans les années 1980. Des grands buts et une moquette verte posée sur une patinoire, un ballon de feutrine jaune, une-deux avec la bande autorisé: c’était fun, spectaculaire. En 1997, inspirée par l’exemple allemand, la Ligue nationale organisait même un Championnat professionnel de Suisse en salle, remporté par le Lausanne-Sport, vainqueur 3-1 d’Aarau dans la halle Saint-Jacques à Bâle. Cinq étapes, une moyenne de 6,5 buts par match, un total de 28000 spectateurs et le sponsoring de Credit Suisse ne suffirent pas à pérenniser l’exercice.
Ce qui était une manière de s’occuper l’hiver est devenu un sport à part entière. Et donc à part. «En Suisse, les meilleures équipes ne comptent que des spécialistes du futsal, témoigne Tiago Borges, homme à tout faire du FC Silva, basé à Saint-Prex et actuel leader de la Swiss Futsal Premier League. Récemment, nous avons joué contre une équipe composée de joueurs de l’US Terre Sainte, un club de 2e ligue inter: nous avons gagné 13-0.»
Si le passage du football à 11 au futsal est difficile, le chemin inverse est recommandé par tous les spécialistes de la formation. Au Brésil, beaucoup de grands joueurs ont commencé par le futebol de salão. «J’adorais le défi que constituait le jeu sur un terrain si petit, expliquait Ronaldo. Le futsal vous oblige à échapper à l’adversaire dans des espaces réduits.» Ronaldinho avouait que «beaucoup de [ses] gestes», notamment les contrôles de balle, «sont ceux d’un joueur de futsal».
En Europe, Cristiano Ronaldo y a beaucoup joué à Madère. «Au Portugal, les enfants ne jouaient qu’à ça.» «Le futsal exige une meilleure technique que le football», estime l’ancien attaquant espagnol David Villa. L’attaquant français du FC Séville Wissam Ben Yedder, souvent pressenti pour être appelé chez les Bleus de Didier Deschamps, compte six sélections en équipe de France de futsal.
Penser vite, jouer juste
Au futsal, le joueur touche le ballon environ 30% de plus qu’au football. La réduction des espaces (le terrain est huit fois plus petit alors qu’il n’y a que moitié moins de joueurs) oblige à avoir une excellente technique des deux pieds, à être très précis dans les passes, à voir vite et à anticiper.
«Un bon joueur de futsal est à l’aise techniquement, rigoureux sur le plan tactique et capable de prendre rapidement des décisions, autant de qualités transposables au football et appréciées de tous les entraîneurs», souligne un rapport technique de l’UEFA. «En Angleterre, le futsal est obligatoire dans le cursus des jeunes», appuie Tiago Borges, qui n’est pas loin de penser que le jeu de redoublement de passes et de déplacements du Barça est né sur un terrain de hand.
Il tousse un peu lorsqu’on lui suggère que, malgré toutes ses qualités, le futsal n’est pas forcément très spectaculaire. Pas de longues courses, pas de jeu aérien, pas de tacle, peu de têtes et, étonnamment, très peu de dribbles. «On utilise le pointu parce que c’est un gain de temps. Un joueur de futsal qui dribble sait qu’il y a pratiquement but s’il perd la balle, explique Tiago Borges. Cela oblige à toujours faire le geste juste. A haut niveau, c’est très tactique, mais c’est aussi le cas à 11.»
«J’adorais le défi que constituait le jeu sur un terrain si petit. Le futsal vous oblige à échapper à l’adversaire dans des espaces réduits» RONALDO, ANCIENNE STAR BRÉSILIENNE