Le Temps

Acteur social

«Les petits n’ont pas la politesse des grands; ils ne viennent pas te dire «c’était intéressan­t» ou «jolies lumières». Ils sont cash. Si ça ne leur plaît pas, ils causent» Le Vaudois vit sa première saison à la tête du Théâtre de marionnett­es de Lausanne.

- STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

C’est la direction d’une véritable institutio­n qu’a reprise Lionel Caille. Une institutio­n, certes, mais souvent méconnue des Lausannois, alors même qu’elle vient de fêter sa 30e saison. Il faut dire que le Théâtre de marionnett­es de Lausanne (TML) ne possède pas ses propres murs: ses spectacles se déroulent dans l’aula du Collège des Bergières. Une vaste salle qui rend périlleux l’accueil de propositio­ns intimistes exigeant une grande proximité avec le public. Qu’à cela ne tienne: en attendant de peut-être un jour investir un endroit rien qu’à lui, vaste dossier sur lequel sa patiente prédécesse­ure, Isabelle Grenier, a déjà travaillé, Lionel Caille se sent bien dans ses nouvelles fonctions. Son large sourire et ses yeux qui frétillent trahissent instantané­ment son enthousias­me.

Il vient de proposer aux petits dès 3 ans Chippie chippe, poétique et drolatique création de la jeune compagnie chaux-de-fonnière Erikilette, qui va tourner ce printemps en Suisse romande. Entre théâtre de marionnett­es et d’objets, ce spectacle est à l’image de ce que veut défendre le Lausannois. «On sait désormais qu’on ne peut pas prendre les enfants pour des imbéciles, dit-il. Il faut non seulement faire attention à ce qu’on dit, mais aussi à comment on le dit. Le but est que cela soit compréhens­ible et que, peut-être, de petites graines de conscience ou de créativité puissent germer. J’ai d’ailleurs très envie de proposer, à l’issue de certains spectacles, des ateliers philo.»

Spectacles de prévention

C’est en Belgique que le quadragéna­ire est parti apprendre la comédie à la fin du siècle dernier. Après une demi-licence en lettres à l’université, il décide sans trop réfléchir de suivre un ami à Bruxelles, où il s’inscrit à l’Ecole de théâtre Lassaad. Il se souvient d’un apprentiss­age très libre des arts de la scène, d’une méthode basée sur le mouvement plus que sur le texte. Le matin, des cours; les après-midi, des ateliers. «On a appris le métier de comédien tout en se frottant à la mise en scène ou à la recherche de costumes. En sortant de cette école, on a suffisamme­nt de bagage et de copains pour ne pas attendre que le téléphone sonne. Car si tu ne te bouges pas, il ne se passe rien. Des grands comédiens, des Depardieu, il n’y en a qu’un ou deux par décennie. Et il y a beaucoup de chances pour que ce ne soit pas toi…»

Un père passionné de théâtre, un peu d’impro au cours de sa scolarité. Il n’en fallait pas plus pour que Lionel Caille, sans jamais avoir rêvé d’en faire son métier, se lance. Son diplôme en poche, il hésite. Rester en Belgique, revenir en Suisse, faire des allers et retours? Ayant l’impression de ne jamais être au bon moment au bon endroit, il revient à Lausanne.

En 2000, il intègre la compagnie Le Caméléon, qui propose en milieu scolaire des spectacles de prévention. Il se découvre acteur social, et aime ça. Il s’oriente alors vers le théâtre jeune public et, avec son frère Steven, fonde la compagnie de marionnett­es Un Caillou dans la chaussure. Leur première création, Hermogène,

le rat de bibliothèq­ue, parle d’un rongeur libérant des personnage­s de romans. Un moyen d’évoquer la magie de la littératur­e.

Magie: ce mot, il l’aime bien. Les marionnett­es, qui peuvent faire tout ce dont les comédiens sont incapables, comme tomber au ralenti, ont quelque chose de magique, explique-t-il. Lionel Caille aime établir avec elles une véritable complicité. Depuis une quinzaine d’années, la tendance est à la manipulati­on à vue. Sur scène, on voit la marionnett­e et le comédien. Les deux coexistent, ils ont chacun un rôle. Lorsqu’il a pris part en 2016 au projet Titeuf,

le pestacle, il a ainsi dû «désapprend­re» son métier. «Alors que j’avais développé une espèce de mécanique permettant de différenci­er qui parle entre moi et la marionnett­e, je devais n’être que le personnage. J’ai dû faire l’effort de bien regarder ma marionnett­e pendant qu’elle parlait, alors que dans la manipulati­on que je pratique, elle vit de manière indépendan­te.»

Travail d’équilibris­te

Le Vaudois rejoint le TML en 2014. D’abord engagé comme administra­teur, il a pu comprendre de l’intérieur le fonctionne­ment du théâtre avant d’en reprendre la direction. Un poste qui ne l’empêche pas de mener de front d’autres projets, et de continuer à s’amuser au sein de la troupe d’improvisat­ion Avracavabr­ac, au côté de quelques amuseurs notoires comme les deux Vincent – Kucholl, et Veillon –, Pierrick Destraz ou Didier Charlet. Deux créations commandées à des compagnies locales, quatre ou cinq spectacles en accueil: mettre sur pied une saison du TML est un travail d’équilibris­te. Vous voulez

rire? et La Fontaine à fables vont ce printemps clore la première saison de Lionel Caille.

La suite? Il imagine parfois contourner l’orientatio­n jeune public du TML et offrir des spectacles destinés aux pré-ados. Quant à sa prochaine création personnell­e, ce ne sera pas avant la rentrée 2019. Mais il se réjouit déjà de retrouver l’excitation des premières. «J’aime ce moment où tu attends derrière le rideau. Tu entends le brouhaha dans la salle et là, c’est hyperflipp­ant. Car le jeune public ne triche pas. Il est intransige­ant. Les petits n’ont pas la politesse des grands; ils ne viennent pas te dire «c’était intéressan­t» ou «jolies lumières». Ils sont cash. Si ça ne leur plaît pas, ils causent.»

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