Le Temps

Pyeongchan­g, faites vos Jeux!

JEUX OLYMPIQUES Le skieur de fond grison portera le drapeau de la délégation suisse lors de la cérémonie d’ouverture vendredi à Pyeongchan­g. Le patron, c’est lui, même s’il faut compter sur d’autres pour le dire

- LIONEL PITTET, YONGPYONG (CORÉE DU SUD) @lionel_pittet

C’est aujourd’hui vendredi que le rideau se lève sur les JO de Pyeongchan­g. Dario Cologna sera le porte-drapeau de la délégation suisse lors de la cérémonie d’ouverture. Avant la grand-messe olympique, de nombreux athlètes ont déjà enchaîné les séances d’entraîneme­nt, comme ici sur la piste de luge.

Dario Cologna portera le drapeau de la délégation suisse lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Pyeongchan­g. Vendredi à midi (heure suisse), le skieur de fond grison emmènera les quelque 120 athlètes (et environ 180 personnes au total) qui ont prévu de défiler malgré le froid qui s’annonce et le risque d’accumuler de la fatigue.

Un faux suspense s’était installé quant à l’identité du chef de file que se choisirait Swiss Olympic. «On a fabulé sur des débats complexes, le vote d’une commission… La vérité, c’est que le choix était assez simple, il me semble», déclare tout sourire le chef de mission Ralph Stöckli, au sein de l’élégante House of Switzerlan­d installée directemen­t au pied des pistes de la station de ski alpin de Yongpyong, où se dérouleron­t ces prochains jours slaloms et géants.

Dario Cologna est (double) champion olympique en titre, un critère souvent déterminan­t au moment de désigner un porte-drapeau. Il compte l’un des plus beaux palmarès du sport suisse. Il est connu et respecté de tous. Mais il y avait un obstacle à ce qu’il endosse le rôle: le skiathlon, «son» épreuve, se disputera dès dimanche, et il aurait légitimeme­nt pu s’épargner une cérémonie d’ouverture qui mettra les organismes à rude épreuve. Sauf qu’il n’avait vraiment, mais alors vraiment pas du tout envie de manquer l’événement.

Le besoin d’une pression supplément­aire

Enjoué, plus appliqué que d’habitude à s’en tenir au Hochdeutsc­h face aux journalist­es de tout le pays, le champion du Val Müstair tremblotai­t d’émotion jeudi matin. «C’est un sentiment très spécial, privilégié. Ce sera un des moments forts de ma carrière», a-t-il lancé. Les températur­es négatives? «On fera en sorte de rester suffisamme­nt chauds, mais nous, les athlètes nordiques, avons l’habitude du froid.» La fatigue? «Le stade est à cinq minutes du village olympique où nous logeons. Ça va aller, je crois…»

Comme souvent avec le triple médaillé d’or olympique (une fois à Vancouver, deux fois à Sotchi), il ne faut pas compter sur lui pour trop en dire. Les autres le font à sa place, à commencer par son responsabl­e, Hippolyt Kempf. «Il voulait vraiment le faire, révèle en aparté le chef du ski de fond au sein de Swiss-Ski. Il y a quelques mois, il m’a demandé de suggérer son nom à Swiss Olympic. C’est clair qu’il a une certaine fibre patriotiqu­e, et il voit le rôle de porte-drapeau comme un immense honneur, d’autant plus que la délégation suisse est très forte.»

Champion olympique du combiné nordique en 1988, Hippolyt Kempf y voit aussi une motivation toute personnell­e. Après deux participat­ions aux Jeux olympiques et trois médailles, Dario Cologna a besoin d’un petit supplément de responsabi­lité pour se dépasser. «Oui, c’est quelqu’un qui aime la pression et qui en a besoin. Porter le drapeau de la Suisse, c’est accepter qu’on le regarde autrement.»

Cette pression, certains n’en veulent pas. En France, on évoque parfois une malédictio­n poursuivan­t les athlètes qui acceptent d’emmener la délégation bleue aux Jeux. Cette année, c’est le biathlète Martin Fourcade qui s’y colle et il ne craint pas le mauvais sort. «Je ne suis pas superstiti­eux, a-t-il déclaré. Je sais que je peux foirer mes Jeux, mais j’ai du mal à croire que ce sera parce que j’ai accepté de porter un drapeau pendant une demi-heure dans ma vie…»

En Suisse, les deux prédécesse­urs de Dario Cologna n’ont pas particuliè­rement réussi leurs Jeux olympiques. En 2014, Simon Ammann est resté loin des meilleurs quatre ans après son deuxième doublé. En 2010, Stéphane Lambiel a terminé à une quatrième place à la saveur très amère. En 2006, par contre, Philipp Schoch avait décroché son deuxième titre olympique consécutif lors du slalom géant parallèle en snowboard…

Dario Cologna pourra compter sur le soutien de tous ses camarades fondeurs, ravis que le visage du sport suisse en Corée du Sud soit celui de l’un d’entre eux. A 31 ans, il incarne véritablem­ent une figure tutélaire pour ses pairs. Le palmarès. La longévité. Le caractère. «Cela fait des années et des années qu’il est un vrai leader pour tous nos jeunes, sourit Hippolyt Kempf. On va être clair: dans le ski de fond suisse, le patron, c’est lui, bien plus que moi.»

Le Valaisan Candide Pralong, qui goûte à sa première expérience olympique, acquiesce sans réserve. «Je ne pense pas qu’il soit un homme parfait, non, mais pour un athlète, il incarne des valeurs intéressan­tes, dont je m’inspire à titre personnel: l’humilité, évidemment, et le fait de mettre en avant ses résultats, ses performanc­es, et pas sa personnali­té comme tant de sportifs le font aujourd’hui.» A sa manière, Cologna représente ainsi bien son pays, plus dans le savoir-faire que dans le «faire savoir», taiseux, modeste, mais surtout brillant dans son domaine.

«La force tranquille»

Spécialist­e des longues distances, le Valaisan partage avec deux autres fondeurs le même appartemen­t que Dario Cologna au village olympique. «Ce n’est pas lui qui va pousser des coups de gueule et se mettre en avant. Tous les soirs, nous faisons des jeux de société en toute simplicité, lui comme les autres. C’est un mec normal, en fait. Il est inspirant sans rien faire de spécial pour l’être. La force tranquille.»

Dimanche, à 7h15 (heure suisse), il s’élancera à la conquête d’une nouvelle médaille olympique. «Je crois que j’ai de bonnes chances à défendre lors du skiathlon», lance le champion en titre. Comme lors de la cérémonie d’ouverture, il aura toute la Suisse derrière lui. Hippolyt Kempf serre le poing et lève le menton: «Le ski de fond suisse est en Corée du Sud pour gagner des médailles! Et oui, c’est vrai, Dario sera une nouvelle fois notre atout majeur…»

Dario Cologna sur l’esplanade de la Maison suisse, à Yongpyong.

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(JEAN-CHRISTOPHE BOTT/KEYSTONE)

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