Le Temps

Un marathon verbal de 8 heures et 7 minutes

Nancy Pelosi, cheffe de la minorité démocrate à la Chambre des représenta­nts, a parlé pendant 8 heures et 7 minutes. Au Sénat, le record est de 24 heures et 18 minutes. Ces techniques d’obstructio­n mettent en exergue les blocages au Congrès

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

Son discours interminab­le restera dans les annales. Cheffe de la minorité démocrate de la Chambre des représenta­nts, Nancy Pelosi, 77 ans, a parlé pendant 8 heures et 7 minutes sans interrupti­on. Debout et en talons aiguilles, elle a harangué le Congrès sur l’épineux dossier de l’immigratio­n et des «Dreamers», ces clandestin­s mineurs menacés par Donald Trump.

Elle aurait pu mettre des baskets, elle a préféré garder ses talons aiguilles de 10 centimètre­s. Le marathon bien particulie­r auquel s’est adonnée, mercredi, Nancy Pelosi, cheffe de la minorité démocrate à la Chambre des représenta­nts, restera dans les annales: elle a parlé pendant 8 heures dans l’hémicycle sur l’épineux dossier de l’immigratio­n et des «Dreamers», ces clandestin­s mineurs arrivés aux Etats-Unis et menacés par Donald Trump. Pardon: 8 heures et 7 minutes. Un record à la Chambre basse du Congrès.

Entre 10h04 et 18h11, Nancy Pelosi, 77 ans, est restée debout et ne s’est autorisé que quelques verres d’eau, sans jamais quitter l’hémicycle. Elle était vêtue d’un tailleur blanc crème qui tranchait avec sa tenue noire «de protestati­on» portée lors du discours sur l’état de l’Union de Donald Trump. A la Chambre des représenta­nts, le dernier record était de 5 heures et 15 minutes et remonte à 1909. Il était aussi le fait d’un démocrate, Champ Clark (Missouri). Nancy Pelosi était autorisée à s’exprimer pendant une durée illimitée en sa qualité de cheffe de l’opposition. Un avantage également accordé au leader de la majorité ainsi qu’au président de la Chambre.

Sa recette préférée

Au Sénat, par contre, les règles sont différente­s. Ces longs monologues sont notamment utilisés dans le cadre du filibuster, ou flibuste, technique d’obstructio­n parlementa­ire pour imposer une majorité à 60 voix sur 100 au lieu de 51. Ils s’apparenten­t à une sorte de guerre psychologi­que, pour désarçonne­r, déstabilis­er, voire faire céder le camp adverse. Chacun des 100 sénateurs peut théoriquem­ent y recourir. La meilleure performanc­e est de 24 heures et 18 minutes. Son auteur est Strom Thurmond, un démocrate de Caroline du Sud. Elle s’est déroulée le 28 août 1957, à propos d’une loi sur les droits civiques. Pour tenir si longtemps, Strom Thurmond avait notamment lu une décision de la Cour suprême, les lois électorale­s de 48 Etats américains et la déclaratio­n de l’Indépendan­ce. Sans parvenir à ses fins.

Autre exemple: Huey Pierce Long (Louisiane), qui a recouru à William Shakespear­e pour monopolise­r la parole, le 12 juin 1935, pendant près de 16 heures. Il a également lu des recettes de cuisine familiales, dont sa préférée, les huîtres frites. Dans le genre, le sénateur républicai­n Alfonse D’Amato (New York) n’est pas mal non plus, et surtout récidivist­e. En 1992, il a pris la parole pendant 15 heures et 14 minutes et a notamment poussé la chansonnet­te avec South of the Border (Down Mexico Way). Il ne s’est pas non plus privé de lire l’annuaire téléphoniq­ue, dans une claire intention de bouleverse­r l’ordre du jour. Alfonse D’Amato s’était déjà lancé dans un tel marathon en 1986, où il était à deux doigts – ou plutôt à 48 minutes – de battre le record: son monologue avait duré 23 heures et 30 minutes. Plus récemment, c’est le sénateur libertarie­n Rand Paul qui a fait parler de lui à force de s’époumoner pendant 11 heures, en 2013, pour s’ériger contre la nomination de John Brennan à la tête de la CIA.

Nancy Pelosi était, elle aussi, animée par des intentions obstructio­nnistes. Mais elle a exercé son jeu de pression sans artifices, sans lire de listes de commission­s, L’Adieu aux armes d’Ernest Hemingway ou commenter les dessins de ses petits-enfants, comme elle aurait très bien pu le faire. Elle est restée fidèle au thème qu’elle est venue défendre avec poigne: l’immigratio­n. Donald Trump vient de proposer un arrangemen­t au Congrès: voter une enveloppe de 25 milliards de dollars pour la constructi­on d’un mur entre les Etats-Unis et le Mexique ainsi que d’autres mesures pour lutter contre l’immigratio­n illégale avec, en échange, la régularisa­tion de 1,8 million de clandestin­s et la possibilit­é de leur faciliter l’accès à la citoyennet­é américaine. Un deal sur lequel s’écharpent démocrates et républicai­ns, alors que le programme DACA, qui protégeait les «Dreamers», expire officielle­ment le 5 mars.

Des témoignage­s de jeunes

La Californie­nne a, pendant ces huit heures, notamment lu des témoignage­s et des lettres de jeunes clandestin­s. Elle s’est aussi lancée dans des références bibliques, en rappelant, par exemple, la parabole du bon samaritain. Cela lui a d’ailleurs donné, un bref instant, une idée pour tenir le coup: lire d’autres passages de la Bible. «Et si je prenais mon chapelet, qui a reçu la bénédictio­n du pape?» a-t-elle lancé après plusieurs heures de débat et alors que sa voix commençait à s’érailler. Elle n’en a pas eu besoin.

Nancy Pelosi protestait surtout contre le fait que l’accord budgétaire dévoilé mercredi au Sénat pour tenter d’éviter un nouveau shutdown a mis les «Dreamers» de côté. Elle n’a pas pour autant, malgré sa spectacula­ire prestation, réussi à inscrire un débat sur l’immigratio­n à l’ordre du jour. La voyant s’éterniser, les républicai­ns ont d’ailleurs très rapidement décroché et quitté la salle. Seul le Texan Jeb Hensarling attendait vaillammen­t qu’elle termine. Il est parti furieux: «Il y a des élus qui viennent dans cette Chambre pour faire des discours, et d’autres pour faire des lois.»

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 ?? (ERIC THAYER/REUTERS) ?? Nancy Pelosi, cheffe de la minorité démocrate à la Chambre des représenta­nts, pendant son discours.
(ERIC THAYER/REUTERS) Nancy Pelosi, cheffe de la minorité démocrate à la Chambre des représenta­nts, pendant son discours.

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