Le Royaume-Uni séduit par le «modèle suisse»
Etroitement mais pas complètement liée à l’Union européenne, la Confédération intrigue les autorités britanniques en ces temps de Brexit
Vu de Berne, cela peut paraître étrange. Les relations entre la Suisse et l’Union européenne (UE) sont plus tendues que jamais et les nombreux traités bilatéraux qui lient les deux parties sont remis en cause de chaque côté. Pour sa part, Bruxelles jure de ne pas reproduire des relations similaires à celles tissées avec la Confédération. «Le modèle suisse est le résultat de décennies de négociations, d’une histoire particulière, et ce n’est pas un modèle», assure, catégorique, une source à la Commission européenne.
Et pourtant, le Royaume-Uni, empêtré dans ses impossibles négociations autour du Brexit, rêve de parvenir à une approche similaire. «Ce qu’a obtenu la Suisse est exactement le genre de relations auquel nous voulons aboutir», confie l’un des principaux négociateurs du gouvernement britannique.
Ce vendredi, pour la première fois, Londres va présenter à la Commission européenne sa vision des futures relations avec l’UE. Les discussions vont pour l’instant rester secrètes. Mais, pour ce négociateur britannique, le modèle suisse se rapproche de l’impossible compromis que cherche Londres: ne pas être dans l’UE, ni dans l’union douanière, ni dans le marché unique, mais rester économiquement extrêmement proche des VingtSept.
René Schwok, professeur à l’Université de Genève, invité mardi par un comité parlementaire britannique, résumait d’une boutade les relations bilatérales suisses avec l’UE: «C’est la pire des solutions, à l’exception de toutes les autres!» Il ajoute: «Si le Royaume-Uni obtenait la même chose, cela serait un bon compromis pour lui.» John Springford, du think tank Centre for European Reform, présent face au même comité parlementaire, confirmait: «Le meilleur accord auquel peut aspirer le Royaume-Uni est quelque chose comme celui de la Suisse.»
Un commerce «sans friction»
Pour comprendre la tentation britannique, il faut revenir aux principaux objectifs de Theresa May: sortir du marché unique (les règles communes pour les biens et les services au sein de l’UE), sortir de l’union douanière (les droits de douane communs vis-à-vis du reste du monde) et mettre fin à la libre circulation des personnes. Mais dans le même temps, la première ministre britannique souhaite conserver un commerce «sans friction» avec l’UE. «Nous souhaitons minimiser les barrières douanières sans être dans l’union douanière», explique Greg Hands, secrétaire d’Etat au Commerce extérieur.
«C’est la pire des solutions, à l’exception de toutes les autres» RENÉ SCHWOK, PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE
Face à ces exigences, Bruxelles répond qu’il faudra choisir entre commerce et autonomie. D’un côté, il y a le modèle canadien, pays qui a un accord de libreéchange avec l’UE, mais qui ne concerne que les biens, pas les services, et qui reste prudent sur le rapprochement des normes. De l’autre, il y a la Norvège, qui fait partie du marché unique, est obligée d’appliquer toutes les normes européennes sans les discuter et contribue au budget de l’UE. Et, selon Bruxelles, il n’y aurait rien entre les deux.
La réalité est que les accords bilatéraux de la Suisse représentent justement cet entre-deux. De facto, la Confédération fait partie du marché unique pour les biens, hors l’agriculture et la pêche. Le commerce est fluide. «A la frontière suisse, seuls 2% des camions sont arrêtés [pour inspection]», souligne John Springford. Un système de caméras repère les plaques d’immatriculation et vérifie que les camions se sont préenregistrés auprès des douanes.
Le vrai joyau
Mais le vrai joyau du modèle helvétique, du point de vue de Londres, est que la Suisse peut signer ses propres accords de libre-échange. Elle en a un désormais avec le géant économique qu’est la Chine. De quoi faire rêver le gouvernement britannique, qui mise beaucoup sur de futurs accords de libre-échange avec le reste du monde. «90% de la croissance mondiale après 2030 viendra de l’extérieur de l’Europe, selon le FMI», rappelle Greg Hands, le secrétaire d’Etat britannique.
Bien sûr, l’accès de la Suisse au marché européen ne se fait pas sans compromis. Le pays est obligé d’appliquer les normes du marché unique pour les biens industriels, même s’il peut le faire avec une certaine autonomie et un certain retard. Il contribue aussi indirectement au budget européen (via un fonds destiné à l’aide aux pays de l’Est), à un niveau environ deux fois moins élevé par habitant que ce que verse le Royaume-Uni actuellement.
La libre circulation des personnes est aussi un gros problème pour Londres. Contrairement aux exigences de l’initiative votée par le peuple en 2014, l’instauration de quotas d’immigration n’a pas été possible en Suisse. «A la place, on a juste mis en place une mesure qui est de la poudre aux yeux», reconnaît André Schwok. Lors des recrutements, les petites annonces doivent désormais être d’abord publiées localement, pendant cinq jours, mais rien n’empêche ensuite d’embaucher un Européen.
Pourtant, même cette limite ne décourage pas les négociateurs britanniques. «Cela ne franchit pas nécessairement la ligne rouge de Theresa May, confie une source britannique. La Suisse conserve une certaine autonomie quant à la façon dont elle gère son immigration.» Décidément, vu de Londres, ce modèle reste bien tentant.
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