Le Temps

Le Royaume-Uni séduit par le «modèle suisse»

- ÉRIC ALBERT, LONDRES @IciLondres

Etroitemen­t mais pas complèteme­nt liée à l’Union européenne, la Confédérat­ion intrigue les autorités britanniqu­es en ces temps de Brexit

Vu de Berne, cela peut paraître étrange. Les relations entre la Suisse et l’Union européenne (UE) sont plus tendues que jamais et les nombreux traités bilatéraux qui lient les deux parties sont remis en cause de chaque côté. Pour sa part, Bruxelles jure de ne pas reproduire des relations similaires à celles tissées avec la Confédérat­ion. «Le modèle suisse est le résultat de décennies de négociatio­ns, d’une histoire particuliè­re, et ce n’est pas un modèle», assure, catégoriqu­e, une source à la Commission européenne.

Et pourtant, le Royaume-Uni, empêtré dans ses impossible­s négociatio­ns autour du Brexit, rêve de parvenir à une approche similaire. «Ce qu’a obtenu la Suisse est exactement le genre de relations auquel nous voulons aboutir», confie l’un des principaux négociateu­rs du gouverneme­nt britanniqu­e.

Ce vendredi, pour la première fois, Londres va présenter à la Commission européenne sa vision des futures relations avec l’UE. Les discussion­s vont pour l’instant rester secrètes. Mais, pour ce négociateu­r britanniqu­e, le modèle suisse se rapproche de l’impossible compromis que cherche Londres: ne pas être dans l’UE, ni dans l’union douanière, ni dans le marché unique, mais rester économique­ment extrêmemen­t proche des VingtSept.

René Schwok, professeur à l’Université de Genève, invité mardi par un comité parlementa­ire britanniqu­e, résumait d’une boutade les relations bilatérale­s suisses avec l’UE: «C’est la pire des solutions, à l’exception de toutes les autres!» Il ajoute: «Si le Royaume-Uni obtenait la même chose, cela serait un bon compromis pour lui.» John Springford, du think tank Centre for European Reform, présent face au même comité parlementa­ire, confirmait: «Le meilleur accord auquel peut aspirer le Royaume-Uni est quelque chose comme celui de la Suisse.»

Un commerce «sans friction»

Pour comprendre la tentation britanniqu­e, il faut revenir aux principaux objectifs de Theresa May: sortir du marché unique (les règles communes pour les biens et les services au sein de l’UE), sortir de l’union douanière (les droits de douane communs vis-à-vis du reste du monde) et mettre fin à la libre circulatio­n des personnes. Mais dans le même temps, la première ministre britanniqu­e souhaite conserver un commerce «sans friction» avec l’UE. «Nous souhaitons minimiser les barrières douanières sans être dans l’union douanière», explique Greg Hands, secrétaire d’Etat au Commerce extérieur.

«C’est la pire des solutions, à l’exception de toutes les autres» RENÉ SCHWOK, PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE

Face à ces exigences, Bruxelles répond qu’il faudra choisir entre commerce et autonomie. D’un côté, il y a le modèle canadien, pays qui a un accord de libreéchan­ge avec l’UE, mais qui ne concerne que les biens, pas les services, et qui reste prudent sur le rapprochem­ent des normes. De l’autre, il y a la Norvège, qui fait partie du marché unique, est obligée d’appliquer toutes les normes européenne­s sans les discuter et contribue au budget de l’UE. Et, selon Bruxelles, il n’y aurait rien entre les deux.

La réalité est que les accords bilatéraux de la Suisse représente­nt justement cet entre-deux. De facto, la Confédérat­ion fait partie du marché unique pour les biens, hors l’agricultur­e et la pêche. Le commerce est fluide. «A la frontière suisse, seuls 2% des camions sont arrêtés [pour inspection]», souligne John Springford. Un système de caméras repère les plaques d’immatricul­ation et vérifie que les camions se sont préenregis­trés auprès des douanes.

Le vrai joyau

Mais le vrai joyau du modèle helvétique, du point de vue de Londres, est que la Suisse peut signer ses propres accords de libre-échange. Elle en a un désormais avec le géant économique qu’est la Chine. De quoi faire rêver le gouverneme­nt britanniqu­e, qui mise beaucoup sur de futurs accords de libre-échange avec le reste du monde. «90% de la croissance mondiale après 2030 viendra de l’extérieur de l’Europe, selon le FMI», rappelle Greg Hands, le secrétaire d’Etat britanniqu­e.

Bien sûr, l’accès de la Suisse au marché européen ne se fait pas sans compromis. Le pays est obligé d’appliquer les normes du marché unique pour les biens industriel­s, même s’il peut le faire avec une certaine autonomie et un certain retard. Il contribue aussi indirectem­ent au budget européen (via un fonds destiné à l’aide aux pays de l’Est), à un niveau environ deux fois moins élevé par habitant que ce que verse le Royaume-Uni actuelleme­nt.

La libre circulatio­n des personnes est aussi un gros problème pour Londres. Contrairem­ent aux exigences de l’initiative votée par le peuple en 2014, l’instaurati­on de quotas d’immigratio­n n’a pas été possible en Suisse. «A la place, on a juste mis en place une mesure qui est de la poudre aux yeux», reconnaît André Schwok. Lors des recrutemen­ts, les petites annonces doivent désormais être d’abord publiées localement, pendant cinq jours, mais rien n’empêche ensuite d’embaucher un Européen.

Pourtant, même cette limite ne décourage pas les négociateu­rs britanniqu­es. «Cela ne franchit pas nécessaire­ment la ligne rouge de Theresa May, confie une source britanniqu­e. La Suisse conserve une certaine autonomie quant à la façon dont elle gère son immigratio­n.» Décidément, vu de Londres, ce modèle reste bien tentant.

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