Pourquoi les prisons romandes sont-elles plus pleines?
Chaque parution de l’Office fédéral de la statistique (OFS) est une source de réflexions sur notre société. Celle qui vient de paraître ce lundi concernant la privation de liberté en Suisse recense chaque année, à une date fixe, le nombre de détenus dans les établissements pénitentiaires selon qu'ils sont en préventive, en exécution de peine ou en mesure de contrainte selon la loi sur les étrangers. Ces chiffres sont associés à la situation pénitentiaire, soit le nombre de places dans les prisons et leur taux d'occupation.
On constate tout d’abord que la population résidente en Suisse ne cesse d’augmenter (8,449 millions en 2017 contre 7,619 millions dix ans auparavant) mais que le nombre de places de prison s'est développé en proportion. Bonne nouvelle qui prouve que nos autorités ne se laissent pas dépasser en termes d'infrastructures. En outre, les cantons s'adaptent à la «demande» puisqu'il y a en moyenne 88 places pour 100000 habitants dans les geôles suisses en 2017, mais 101 dans les cantons latins. Malheureusement, le nombre des incarcérés s'est développé encore plus vite dans les cantons concernés (Fribourg, Vaud, Valais, Neuchâtel, Genève, Jura et Tessin) avec pour conséquence que le taux d'occupation des prisons est passé de 92% à 107%, ce qui n'est pas acceptable.
Ces différences régionales ont donné lieu à des commentaires désobligeants sur la politique romande du «tout sécuritaire». En effet, ramené à la population résidente, le taux d'incarcération passe de 68 personnes pour 100 000 habitants en Suisse centrale et du nord-ouest (y compris Bâle et Berne) à 71 en Suisse orientale (y compris Zurich) pour se hisser à 109 en Suisse latine. De là à accuser la philosophie policière et judiciaire de remplir les prisons, en particulier à Genève où le procureur est la cible de toutes les critiques, il n'y a qu'un pas vite franchi.
Mais il faut comparer ce qui est comparable et mener une analyse structurelle pour bien comprendre les causes de ces disparités. Pour commencer, relevons cette information essentielle que les étrangers composent 71,5% de la population carcérale suisse en 2017, proportion assez stable depuis plus de dix ans et qui touche les trois régions, même si ce n'est pas exactement au même niveau puisqu'elle est de 65% en Suisse orientale, de 68% en Suisse centrale et du nord-est pour culminer à 79% dans les cantons latins. Cela tient-il au zèle des Romands à poursuivre des étrangers inoffensifs sous prétexte qu'ils ne sont pas en règle avec leurs papiers? Non, puisque les mesures de contrainte selon la loi sur les étrangers représentent moins de 4% du total, part trop faible pour accuser la maréchaussée de pratiquer sans modération des arrestations au faciès. En outre, contre toute attente, cette part est plus élevée dans les deux régions alémaniques observées (5%) que chez les Latins (2%).
A cela s’ajoute que la structure démographique des trois régions observées est très différente en termes de présence étrangère puisqu'ils représentent 30% de la population résidente dans les sept cantons latins contre 25% en Suisse orientale/Zurich et 21% en Suisse centrale et du nord-ouest. Le calcul est donc vite fait: s'il y a plus d'étrangers dans une région donnée, alors sa population carcérale sera plus élevée puisque les Suisses ne composent que 30% des détenus. Avec un taux similaire d'étrangers dans sa population, la région latine aurait sans doute une population carcérale approximativement semblable à celle des deux autres régions.
Evidemment, cette analyse n’est pas politiquement correcte et on l’accusera de pratiquer l’amalgame et la xénophobie. Pourtant, sans penser aucunement que tous les étrangers sont des délinquants, faut-il pour autant fermer les yeux sur des chiffres sérieux et constants qui expliquent en grande partie les difficultés de notre politique carcérale latine? Non, évidemment, sauf à faire partie des struthionidés.
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