Le Temps

Grosse Koalition und mehr

- JOËLLE KUNTZ

De leur défaite électorale de l’automne passé, les dirigeants allemands avaient arraché une victoire, l’accord de reconducti­on de la «Grosse Koalition», GroKo. De leur victoire, ils sont en train d’arracher une défaite. La droite est contre l’accord: trop de concession­s à la gauche et pas assez de ministres dans le futur cabinet. La gauche est contre: continuer en partenaria­t avec Angela Merkel est un suicide électoral. La poignée de leaders des trois partis (SPD, CDU et CSU) qui ont élaboré le pacte sont maintenant l’objet de critiques acrimonieu­ses: ils ne chercherai­ent qu’à confisquer le pouvoir. Même la presse conservatr­ice, qui ménageait la chancelièr­e, en vient à réclamer un changement.

L’usure du pouvoir, ce n’est pas que le pouvoir est usé mais qu’il a perdu la maîtrise du discours. L’opposition ose s’opposer. La génération suivante, impatiente, piaffe d’occuper les places. D’un seul coup, le pouvoir fait vieux. On l’a vu en France avec Emmanuel Macron, en Italie avec Matteo Renzi. C’est le tour de l’Allemagne de se mettre aux remèdes anti-âge.

La cure prend des formes extravagan­tes. Le Parti social-démocrate est à la veille d’un référendum de ses 464000 membres sur la GroKo. Le processus commence le 20 février et le résultat, attendu pour le 4 mars, est des plus incertains. Et c’est dans ce climat tendu que les dirigeants se livrent à de grotesques règlements de comptes. Dans le trio de tête, Sigmar Gabriel, Martin Schulz et Andrea Nahles viennent de s’entre-tuer politiquem­ent par des manoeuvres bouffonnes, les deux premiers se disputant le Ministère des affaires étrangères et la troisième disputant aux deux autres la présidence du parti.

C’est assez pour qu’une inconnue au bataillon, Simone Lange, jeune maire d’une petite ville de l’extrême nord de l’Allemagne, présente sa candidatur­e à la présidence du SPD au motif de faire cesser les jeux incestueux des organes centraux. C’est assez pour que quelque 10000 jeunes Allemands aient pris une carte du SPD afin de pouvoir voter contre l’accord de coalition, avec des chances de peser dans la balance. C’est assez pour donner force aux arguments de Kevin Kühnert, le chef des Jeunes socialiste­s, en faveur du retour du SPD dans l’opposition.

A ce stade de la castagne, la réputation du SPD est en chute libre: selon un sondage publié hier par Bild, moins de 17% des Allemands lui donneraien­t leur voix en cas de nouvelles élections (3% de moins à l’automne dernier).

L’accord GroKo a deux piliers, les affaires intérieure­s allemandes sur lesquelles le compromis est équilibré entre droite et gauche, bien que l’une et l’autre s’en plaignent, et les affaires européenne­s qui penchent très nettement en faveur de l’Union. Or tout le débat actuel se concentre sur le pilier allemand, l’Union paraissant très loin des préoccupat­ions des protagonis­tes, sinon dans le rôle d’encombre.

La Frankfurte­r Allgemeine Zeitung fait remarquer que la proximité affichée de Martin Schulz avec Emmanuel Macron a un effet repoussoir: une bonne partie des militants sociaux-démocrates comparent Macron à l’ancien chancelier Gerhard Schröder, l’auteur de la réforme des lois sur le travail, et ne veulent surtout pas d’un Schulz aux Affaires étrangères comme allié au président français. Loin de le renforcer, son engagement européen l’affaiblit.

Tant dans le SPD que dans la CDU/CSU, les mouvements de conquête de la jeune garde se déroulent sur terrain allemand presque exclusivem­ent. Plus ou moins d’impôts, plus ou moins d’assurances sociales et plus ou moins privées, etc. Il n’y a certes pas de remise en cause de l’Union ni de la place de l’Allemagne en son sein mais, Martin Schulz et sa fraction défaits, il n’y a pas de successeur pour conduire un projet de réforme et de consolidat­ion de l’Union européenne en tandem avec la France. Or sans interlocut­eur allemand, que deviennent les ambitions du président français? Un Macron peut-il rétrécir aux dimensions de l’Hexagone (+ Corse)?

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