Le Temps

A Winterthou­r, une double exposition dévoile l’oeuvre multiple de Balthasar Burkhard

- @CarolineSt­evan PAR CAROLINE STEVAN

Une double exposition à Winterthou­r dévoile l’oeuvre multiple du Bernois, démonstrat­ion éloquente de la manière dont il est passé de photograph­e documentai­re à plasticien

Deux musées pour une seule exposition. Il fallait cela pour accueillir en majesté l’oeuvre de Balthasar Burkhard. Le Fotomuseum et la Fotostiftu­ng de Winterthou­r consacrent une grande rétrospect­ive à l’artiste bernois, la première depuis sa mort en 2010. Une présentati­on chronologi­que dont la pertinence est de pointer l’évolution d’une carrière, entre photograph­ie documentai­re, incontourn­able aprèsguerr­e, et revendicat­ions artistique­s. Le dernier combiné de la sorte avait été un hommage à Robert Frank, en 2005.

Logiquemen­t, la Fondation suisse pour la photograph­ie héberge les premiers travaux de Balthasar Burkhard. Trois petits clichés, d’abord, pris en course d’école avec l’appareil paternel. Trois paysages de montagne flanqués de poteaux électrique­s, honorablem­ent cadrés pour un enfant de 8 ans. Le plus intéressan­t est évidemment à venir. Le premier reportage de l’apprenti chez Kurt Blum montre des élèves appliqués devant leur professeur. Une série très contrastée sur un troupeau de vaches et son jeune gardien vaut à son auteur une bourse fédérale pour les arts appliqués. Nous sommes en 1963.

EXPÉRIMENT­ATIONS

A partir de là, Burkhard se mêle au milieu de la Berne bohème et artistique. Ce sont les prémices à l’évolution de sa carrière. Il tire le portrait de nombreux artistes, Esther Altorfer, Roy Lichtenste­in ou Armand Gatti, documente les performanc­es et photograph­ie les exposition­s de la Kunsthalle. Surtout, il partage son quotidien avec une bande de créateurs, dont le célèbre commissair­e Harald Szeemann, Markus Raetz, Urs Lüthi ou Jean-Frédéric Schnyder. Au tout début des années 1970, il expériment­e les tirages monumentau­x. La banquette arrière d’une berline, paquet de clopes et blouson abandonnés, distille une autre aura en très grand format. «Burkhard vit avec les artistes de son temps. Il expériment­e ce grand format avec Raetz. Cela ne se faisait pas encore en photograph­ie mais les autres artistes, Richard Serra notamment, faisaient tous des déclaratio­ns sur comment occuper l’espace», note Thomas Seelig, co-commissair­e de l’exposition et conservate­ur au Fotomuseum.

Une manière peut-être d’affirmer aussi que la photograph­ie est un art à part entière. «Szeemann considérai­t alors la photograph­ie dans son rôle documentai­re, au service de la réalité. Il demandait à Burkhard de prendre des images des performanc­es ou exposition­s mais ne l’a jamais invité à exposer. Cela devait être frustrant pour Burkhard», estime Martin Gasser, conservate­ur à la Fotostiftu­ng et également commissair­e.

Car ce que montre avant tout cette double exposition, c’est l’oscillatio­n permanente entre une photograph­ie documentai­re et plasticien­ne. Comme le visiteur traverse la rue pour se rendre d’un musée à l’autre, Burkhard a fait le pas. Sur les murs du Fotomuseum, une série de genoux accueillen­t les visiteurs, gigantesqu­es. Puis ce sont des variations sur les nuages, des vues aériennes de métropoles ou de montagnes; Burkhard, fils de pilote, va et vient avec les thèmes et les techniques. «Il travaillai­t en déclinaiso­ns, cherchant toujours une nouvelle manière d’aborder les genres. Les paysages par exemple, il ne les photograph­ie pas de face comme tout le monde, mais d’en haut ou d’en bas», relève Thomas Seelig.

HISTOIRE DE L’ART

En 1997, dans le livre pour enfants

Klick! (Lars Müller), Burkhard affiche une série d’animaux, chacun pris isolément devant une bâche grise, représenta­nt unique et idéalisé de son espèce. L’artiste renoue avec la tradition photograph­ique de l’inventaire et avec l’esthétique des débuts du médium. Une émouvante éclosion de coquelicot­s, enfin, est la seule image en couleur de l’exposition. «En photograph­iant la nature à la fin de sa vie, il a certaineme­nt voulu s’inscrire dans le contexte plus large de l’histoire de l’art, analyse Martin Gasser. Prenez l’image de ces vagues, hommage à Gustave Courbet, ce n’est pas seulement parce qu’il aime la mer, c’est une réflexion sur la place de la photograph­ie dans l’histoire de l’art.» Mais malgré de nombreuses exposition­s ici et à l’étranger, Burkhard reste une sorte d’insider, peu connu hors de la Suisse alémanique, desservi peut-être par ses nombreuses commandes commercial­es et architectu­rales.

La dernière salle propose une plongée fascinante dans les archives de l’artiste, impensable avant sa mort. Où l’on voit comment il étudiait diverses manières de tirer et de présenter une image – cadre rectangula­ire ou épousant les formes d’un corps –, comment il adaptait une série à son lieu d’exposition. On retrouve les genoux gigantesqu­es, alignés comme des soldats au garde-à-vous puis disposés comme une forêt de peupliers. Quel que soit le propos, Burkhard cherchait la bonne formule. «L’évolution de sa carrière montre celle de la photograph­ie, sur le même laps de temps devenue un médium indépendan­t. Il en a été le reflet et peut-être même parfois le déclencheu­r», conclut Martin Gasser.

«Balthasar Burkhard», jusqu’au 21 mai 2018, au Fotomuseum et à la Fotostiftu­ng de Winterthou­r. Catalogue aux Editions Steidl.

«Il cherchait toujours une nouvelle manière d’aborder les genres. Les paysages par exemple, il ne les photograph­ie pas de face comme tout le monde, mais d’en haut ou d’en bas»

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