Le Temps

En campagne contre «No Billag»

REDEVANCE Le président de la SSR sillonne la Suisse pour combattre l’initiative «No Billag». Bien qu’il ne soit pas un spécialist­e des médias, il rassure

- MICHEL GUILLAUME @mfguillaum­e

De Lausanne à Zurich, de Berne à Köniz, Jean-Michel Cina sillonne la Suisse à un rythme effréné pour combattre l’initiative «No Billag». Bien qu’il ne soit pas un spécialist­e des médias, le président de la SSR rassure lors des débats publics. Le Temps l’a suivi. Récit d’un marathon au nom du service public.

L'été dernier, c'était plutôt mal parti. Lorsque Jean-Michel Cina a été intronisé président de la SSR, les critiques des journaux ne l'ont pas épargné. Les uns ont ironisé sur le «réseau PDC» auquel il était lié, les autres ont déploré l'avènement d'une personnali­té totalement étrangère au monde des médias. «L'homme aux mauvaises compétence­s», a même titré la Schweiz am Sonntag. Dix mois plus tard, Jean-Michel Cina n'a peut-être pas fait taire toutes les critiques. Mais à deux semaines de la votation cruciale sur l'initiative «No Billag», il a contribué à ramener un brin de sérénité au sein de la maison SSR.

Le Haut-Valaisan sera-t-il le sauveur ou le liquidateu­r de la SSR? Sa mission n'est pas dénuée de risques, mais passionnan­te. «J'ai accepté ce mandat parce qu'il me permettait de continuer à m'engager pour une cause publique à l'échelon national. C'est dans mon ADN», souligne-t-il.

La Suisse incarnée

Lausanne, Zurich, Bâle, Köniz et l'on en passe. Même après avoir quitté le Conseil d'Etat valaisan, Jean-Michel Cina reste un homme pressé qui sillonne la Suisse pour cette campagne. Il reçoit parfois ses interlocut­eurs dans un «business lounge» de la gare de Berne. De temps à autre, il jette discrèteme­nt un oeil sur sa montre connectée TAG Heuer, qui l'informe des derniers événements et de l'agenda qu'il a à tenir.

Alors qu'avant la parution des premiers sondages sérieux la SSR semble vaciller sur ses bases, Jean-Michel Cina assure et ras- sure. Il est un politicien chevronné, actif et influent d'abord comme président de commune à Salquenen, puis conseiller national et chef du groupe PDC dont il est pourtant le benjamin, et enfin conseiller d'Etat valaisan. A lui seul, il incarne cette Suisse plurilingu­e et solidaire toujours soucieuse de préserver les intérêts de ses minorités.

Dans son agenda, ses apparition­s publiques se succèdent à un rythme effréné. Le 29 janvier, il fait face à Roger Schawinski, qui a réintégré le service public après l'avoir longuement critiqué. L'ex-«radio pirate» a beau avoir écrit un livre pour contrer l'initiative «No Billag», il ne ménage pas «son» président, qu'il soumet à un feu roulant de questions aussi pertinente­s qu'impertinen­tes. Il n'hésite pas à attaquer son interlocut­eur sur sa personne. Il laisse entendre qu'il n'est qu'un «politicien qui a échoué à accéder au Conseil fédéral», lui reproche ensuite de n'avoir aucune connaissan­ce du monde médiatique avant de déplorer enfin qu'il promette une réforme sans pouvoir en esquisser les grandes lignes!

Match de boxe

Un vrai match de boxe qui force le Haut-Valaisan à jouer l'esquive: «La SSR est beaucoup plus importante que ma personne», précise-t-il d'emblée. Il admet qu'il n'est pas un spécialist­e des médias, mais qu'il a à coeur de s'engager pour une SSR conservant des contenus de qualité tout en devenant plus efficace. «J'aurais souhaité moins de questions personnell­es, malgré tout je me suis senti à l'aise dans cette émission», affirme Jean-Michel Cina. Il est vrai qu'il est un sportif né. Durant sa période universita­ire, il fait brièvement partie du contingent de la première équipe de football des Young Boys de Berne, où il touche 400 francs par mois. Il y évolue comme libero, un poste prédestiné pour défendre aujourd'hui le service public face aux assauts des initiants de «No Billag».

Le lendemain à Bâle, dans un café culturel branché, le président de la SSR peut compter sur un allié non seulement imprévu en début de campagne, mais aussi providenti­el: celui d'Opération Libero. C'est lui qui organise ce débat contradict­oire qui révèle le punch de sa très jeune coprésiden­te Laura Zimmermann (23 ans), moins connue que Flavia Kleiner. Ce mouvement citoyen, né au lendemain de la votation du 9 février 2014 sur l'initiative de l'UDC «Contre l'immigratio­n de

«La SSR appartient au peuple. Cette structure assure notre indépendan­ce par rapport au politique» JEAN-MICHEL CINA

masse», est en passe de devenir un acteur politique capable de faire basculer une votation. Ses leaders sont tous issus de cette génération Erasmus ouverte au monde qui refuse de voir la Suisse transformé­e «en un musée en plein air». Jugeant l'initiative «No Billag» dangereuse pour la Suisse, ce mouvement a remobilisé ses troupes lors d'une opération de crowdfundi­ng couronnée de succès. «Nous avons déjà récolté 560000 francs», se réjouit Laura Zimmermann.

Réforme

Ce soir-là, le débat ne révèle pas de fossé de génération. Il se cristallis­e plutôt sur l'importance du service public. Les deux partisans de «No Billag», le député PLR Luca Urgese et le directeur de l'USAM locale Gabriel Barell sont de fidèles abonnés de la presse bâloise, mais ils en appellent à la liberté individuel­le pour mieux combattre cet «impôt médiatique» qu'est la redevance. «Il faut faire confiance au marché», insiste Gabriel Barrell. Quant à lui, Luca Urgese ne souhaite pas la mort de la SSR. «Il y a un besoin de bonne informatio­n. La preuve, c'est la création du média en ligne Republik, qui a levé plusieurs millions de fonds», argumente-t-il.

Paradoxale­ment, c'est Jean-Michel Cina qui semble aujourd'hui avoir été le plus proche du comporteme­nt de la génération Netflix, celle qui ne veut plus payer que pour des contenus qu'elle consomme. Il n'a pas eu le temps de lire un journal, s'informant grâce à son iPhone et par le réseau social Twitter, sur lequel il a 3000 abonnés. Il axe son discours sur sa vision de la Suisse: un pays fier de sa solidarité entre les régions linguistiq­ues, imprégné d'un sens marqué pour la communauté, dont la SSR est un exemple. Il rappelle sa structure, unique en Europe. «La SSR appartient au peuple. Elle est une associatio­n de droit public de 24 000 membres qui font partie d'associatio­ns régionales. C'est cette structure qui assure notre indépendan­ce par rapport au politique», s'exclame-t-il.

Jean-Michel Cina: «J’ai accepté ce mandat à la SSR parce qu’il me permettait de continuer à m’engager pour une cause publique à l’échelon national. C’est dans mon ADN.» La SSR est condamnée à réussir sa mue à l’heure de la révolution numérique

Dans le café bâlois, la confrontat­ion tourne à l'avantage des partisans du service public. Les initiants ne sont convaincan­ts que lorsqu'ils décrivent une SSR qui a grandi démesuréme­nt dans les années 1980 et 1990, hantée par la crainte de céder le moindre pouce de terrain au secteur privé lors de la libéralisa­tion du marché de l'audiovisue­l. Mais ils sont ensuite incapables de développer le moindre plan B pour la SSR. Et une grande partie du public finit par s'énerver, à l'image de l'humoriste Emil, qui est venu assister au débat, mais sans prendre la parole. «On devient malade en écoutant les arguments des initiants, qui sont nuls», lâche-t-il avant de s'éclipser. Le membre du comité «No Billag» Luca Urgese est tout aussi frustré, mais pour une autre raison. «C'est la SSR qui bloque toute discussion en refusant de se redimensio­nner. Jean-Michel Cina est certes un homme engagé dont on a senti la passion pour le service public. Mais lorsqu'il promet une réforme, je ne le crois pas une seconde», regrette-t-il.

Réforme: le nouveau tandem à la tête de la direction générale, soit Gilles Marchand et Ladina Heimgartne­r, n'a plus que ce mot à la bouche ces dernières semaines. Jean-Michel Cina en parle aussi, mais lui qui n'est pas dans l'opérationn­el n'est pas le mieux placé pour le faire. Une chose est sûre: la SSR est condamnée à réussir sa mue à l'heure de la révolution numérique. A cet égard, le premier sondage de l'institut gfs.bern est à la fois rassurant et inquiétant. Si le non à l'initiative compte une quinzaine de points d'avance, la catégorie des plus jeunes approuve «No Billag».

«David contre Goliath»

Désormais, les opinions sont faites. Lorsque le 7 février, Jean-Michel Cina affronte Markus Horst (UDC/BE) devant un public de seniors à Köniz dans la banlieue de Berne, il n'a plus trop de soucis à se faire. Le débat s'annonce tranquille et menace de sombrer dans l'ennui. Pourtant, ce n'est pas le cas. Interrogé sur les erreurs qu'auraient commises les initiants pour accuser un tel retard dans les sondages, Markus Horst relève simplement que cette campagne, «c'est David contre Goliath». Il n'en faut pas plus pour que les esprits s'échauffent: «Vous êtes soutenu par Christoph Blocher, qui investit massivemen­t dans la presse et qui est milliardai­re. On ne peut pas le comparer à David», s'étonne un auditeur. Markus Horst dément: «Christoph Blocher n'a pas mis un sou dans cette campagne. Il ne faut pas tomber dans la paranoïa», prétend-il. Une affirmatio­n qui rend fou furieux un autre senior qui quitte sa chaise, va se placer en face de lui pour lui lancer: «Ce que vous dites est injurieux. Retirez tout de suite ces paroles et excusez-vous!»

Le modérateur parvient tant bien que mal à calmer la situation, mais l'incident est révélateur du climat de passion qui entoure ce débat dans les deux camps: «J'ai sous-estimé la charge émotionnel­le de ce débat, qui confine parfois à la haine sur les réseaux sociaux», constate Jean-Michel Cina, qui y voit un double phénomène: «Ceux qui se sentent un peu propriétai­res de la SSR ont peur de s'en voir dépossédés. Quant aux autres, ils expriment une colère envers une institutio­n qui incarne un pouvoir qu'ils estiment illégitime.»

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(BÉATRICE DEVÈNES)

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