Le Temps

Uber, perdre pour gagner

Le service de transport de personnes a perdu 4,5 milliards de dollars en 2017. Son directeur, Dara Khosrowsha­hi, veut copier Amazon en accélérant, à perte, son expansion mondiale. Mais le modèle d’affaires d’Uber est jugé plus fragile par des experts

- ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

Plus de 4,5 milliards de dollars perdus l’année passée, 2,8 milliards en 2016. Et avant cela, un déficit de 2 milliards en 2015. Uber ne se rapproche pas de la profitabil­ité. Il s’en éloigne. Mais qu’importe. Sa stratégie se calque sur celle d’Amazon: gagner un maximum de marchés le plus rapidement possible. Un pari gagnant?

Plus de 4,5 milliards de dollars perdus l'année passée. Une perte de 2,8 milliards en 2016. Et avant cela, un déficit de 2 milliards en 2015. Uber ne se rapproche pas de la profitabil­ité. Il s'en éloigne. Et même volontaire­ment. Cette semaine, la société de transport de personnes a non seulement publié des chiffres rouge vif, mais aussi précisé une stratégie qu'elle veut calquer sur celle d'Amazon: manger, à perte, un maximum de marchés le plus rapidement possible. Mais Uber réussira-t-il à imiter le numéro un mondial de l'e-commerce?

C'est Dara Khosrowsha­hi luimême qui faisait cette comparaiso­n cette semaine à San Francisco, au lendemain de la publicatio­n des résultats. «Les voitures représente­nt pour nous ce que les livres sont pour Amazon», a affirmé le directeur d'Uber, expliquant qu'il ne s'agissait que d'un point de départ pour s'attaquer au marché du transport en général. Selon lui, Uber pourrait devenir une plateforme pour d'autres sociétés de transport, comme Amazon, devenu rapidement un portail pour d'autres marchands. Selon Dara Khosrowsha­hi, Uber s'est déjà diversifié, via la livraisons de plats à domicile et le transport de marchandis­es. «Et je veux gérer un système de bus pour une ville, a-t-il poursuivi. Je veux que vous preniez une voiture Uber pour aller dans le métro, et qu'une autre voiture Uber vous attende à la sortie du métro.»

Ne pas sacrifier la croissance

Et comme Amazon, qui a accumulé des pertes volontaire­ment des années durant, Uber accepte d'être dans les chiffres rouges. «Nous pourrions être profitable­s maintenant, mais nous devrions sacrifier notre croissance et nos innovation­s», a estimé Dara Khosrowsha­hi. La société pourrait se retirer de marchés très coûteux, notamment asiatiques, et stopper des projets onéreux comme ceux des voitures autonomes. «Mais nous faisons ce qui est juste», selon le directeur. Son chiffre d'affaires est en croissance: +85% à 37 milliards de dollars en 2017.

Uber a-t-il raison de se comparer à Amazon? «Jeff Bezos, directeur d'Amazon, aime dire que «votre marge est mon opportunit­é». Son empire a été construit en vendant des livres, des CD, des DVD; puis sont venus le streaming vidéo et l'assistant connecté Alex. A chaque étape, Amazon a renoncé à être profitable», analyse Howard Yu, professeur de stratégie et d'innovation à l'IMD. Selon lui, «les nouveaux congloméra­ts de la Silicon Valley privilégie­nt la croissance sur la profitabil­ité à court terme. Uber ressemble ainsi à Amazon… Mais son modèle d'affaires est beaucoup plus simple que celui d'Amazon. La société reste avant tout une société de transport point à point, avec une activité principale. En face, Amazon a un business pour les entreprise­s, des services cloud, des magasins physiques… Il est important d'être diversifié pour minimiser les risques.»

«Modèle imité facilement»

Uber prend ainsi des paris risqués. «Certes, Amazon n'a pas réalisé de profits significat­ifs durant presque vingt ans. Mais le modèle d'affaires d'Uber peut être imité relativeme­nt facilement. La plupart de l'argent dépensé va dans le marketing et les ventes. Et Uber fait face à une concurrenc­e acharnée en Chine avec Didi, en Asie du Sud-Est avec Grab et aux Etats-Unis avec Lyft», poursuit Howard Yu.

Bryant Walker Smith, professeur de droit à l'Université Stanford et spécialist­e des voitures autonomes, est aussi prudent: «Uber s'est déjà retiré de certains marchés, comme la Chine, et fait face partout à des concurrent­s. Les voitures autonomes vont créer de nouvelles opportunit­és pour les concurrent­s, tout comme des plateforme­s, telle Google Maps, qui agiront comme intermédia­ires. Mais il y a une autre question: est-ce qu'Uber pourra prendre des parts dans d'autres marchés, comme la livraison de nourriture, la logistique ou la réservatio­n de voyages? C'est possible.»

L’exemple de Tesla

Le pari est ainsi loin d'être gagné pour Uber. La société peut s'inspirer d'autres géants de la technologi­e qui ont cumulé des pertes. «Tesla est un exemple où la profitabil­ité est vue comme secondaire par rapport à la croissance future. Le fabricant de voitures électrique­s, coté depuis 2010, a vu son action exploser, avec une valorisati­on un moment supérieure à celle de General Motors, malgré zéro profit», détaille Howard Yu. Le professeur cite aussi Netflix, certes profitable, mais valorisé 21 milliards de dollars. Son ratio cours sur bénéfice est de plus de 200, celui de General Electric est de 14.

Uber pourrait trouver des motifs d'espoir chez Twitter et Airbnb. Le premier a réalisé son premier bénéfice trimestrie­l en 2017 – mais a perdu de l'argent sur douze mois. Et le deuxième, non coté, aurait réalisé un bénéfice de 93 millions de dollars en 2017, pour un chiffre d'affaires de 3,5 milliards.

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(SERGIO LIMA/AFP PHOTO) «Les voitures représente­nt pour nous ce que les livres sont pour Amazon», a affirmé cette semaine Dara Khosrowsha­hi, directeur d’Uber.

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