Ashkali, Gorani: le déclin des plus petites minorités
POPULATIONS Le jeune Etat est censé être multiethnique, comme en témoignent les six étoiles de son drapeau. Mais certains peuples y sont moins égaux que d’autres
Comment peut-on être Bosniaque, Croate, Rom ou Turc et vivre au Kosovo? La restauration d’un Kosovo «multiethnique» était l’objectif affirmé des missions internationales qui se sont succédé depuis 1999. Pourtant, dans un Kosovo focalisé sur la confrontation entre Albanais et Serbes, la situation des petites communautés minoritaires est loin de s’être améliorée.
Les six étoiles du drapeau adopté lors de la proclamation d’indépendance du Kosovo, il y a dix ans, le 17 février 2008, symboliseraient les différentes communautés nationales du petit pays, mais chacun se perd dans le décompte. «Il y a une étoile pour les Albanais, les Serbes, les Bosniaques, les Turcs et les Gorani. Et nous les Roms, nous partageons une seule et même étoile avec les Ashkali et les Egyptiens», s’amuse Kujtim Pacaku, poète et ancien député rom au parlement du Kosovo.
Les Ashkali et les Balkano-Egyptiens sont albanophones et ne maîtrisent pas la langue romani, ils sont néanmoins souvent assimilés aux Roms et victimes du même rejet social. Estimées à plus de 100000 personnes avant la guerre, ces trois communautés ont massivement fui le Kosovo depuis 1999. «Entre les Albanais et les Serbes, les Roms ont toujours été comme entre l’enclume et le marteau», poursuit cet intellectuel de Prizren, la seule ville du Kosovo où vit toujours une importante communauté rom.
Les Gorani, pour leur part, ne sont pas bien sûrs d’avoir droit à leur étoile. L’identité de cette communauté de Slaves convertis à l’islam au XVIIe siècle, retranchée dans ses montagnes de la Gora, à cheval sur le Kosovo, l’Albanie et la Macédoine, est elle-même mise en question. «Belgrade nous considère comme des Serbes islamisés, Pristina veut nous assimiler aux Bosniaques, mais nous, nous savons bien que nous sommes Gorani», explique Bilgaip Zile, qui vit dans le village de Brod.
Quelque 30000 Gorani vivaient au Kosovo en 1999. Ils ne seraient plus que 6000. L’émigration est une vieille histoire chez ce petit peuple de bergers, dont les fils s’expatrient depuis des siècles jusqu’à Vienne et Istanbul, pour travailler comme maçons ou pâtissiers, les deux spécialités dans lesquelles ils excellent. Le secret de la survie de leur identité tient à leur forte endogamie. Les Gorani du monde entier se retrouvent chaque année dans leurs montagnes au début du mois de mai: c’est alors que se concluent les fiançailles.
De l’or au plastique
Les Gorani disposent néanmoins d’un siège garanti au parlement du Kosovo, où dix élus représentent les principales communautés minoritaires. Tel n’est pas le cas des Croates, arrivés au Kosovo au XIIIe siècle. Le village de Janjevo était connu dès le Moyen Age pour ses mines d’or mais, dans les années 1960, les Croates se sont trouvé une autre spécialité: chaque maison abritait un atelier de fabrication d’objets en plastique, que les Roms implantés à Janjevo vendaient à travers toute la Yougoslavie.
Les Croates ont massivement fui le Kosovo pour la Croatie au début des années 1990, à cause des provocations des nationalistes serbes. A Janjevo, ils ne sont plus que 200, souvent âgés, à ruminer les souvenirs d’un passé glorieux. «Les importations chinoises ont ruiné notre industrie, et il n’y a pas de place pour nous dans le nouveau Kosovo», lâche Franjo, qui possède encore un magasin sur la route de Pristina. «C’est une histoire de sept siècles qui est en train de s’achever.»
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