Transparence du financement politique: Fribourg donnera le cap
VOTATIONS DU 4 MARS La population fribourgeoise se prononce dans deux semaines sur une initiative portée par la gauche demandant que les partis publient leurs comptes. Un ballon d’essai avant la votation fédérale de l’année prochaine
On l'avait presque oubliée à Fribourg, tant l'attention des partis se portait sur l'élection complémentaire au Conseil d'Etat et les incertitudes entourant «No Billag». Pourtant l'initiative cantonale «transparence du financement de la politique» est cruciale. Lancé par les Jeunes socialistes et soutenue par l'ensemble des forces de gauche, le texte demande que les partis et les comités de campagne soient contraints de publier leurs comptes, en particulier les dons reçus de la part d'entreprises ou de personnes physiques, à l'exception, pour ces dernières, des versements inférieurs à 5000 francs par année.
Cette fin de semaine a coïncidé avec le sursaut de dernière minute des opposants, à quinze jours du scrutin. Les partis du centre droit, PDC, PLR et UDC, ont ainsi présenté vendredi matin en conférence de presse «un front uni» contre cette initiative jugée dangereuse. André Schoenenweid, président du PDC fribourgeois, dénonce un projet, qui sous couvert de nobles principes, se veut une intrusion dans la sphère privée et «bafoue la notion de secret du vote si cher aux Suisses». «Les dons à un parti sont une manière de participer à la vie civique, les décourager, c'est affaiblir la démocratie», affirme-t-il.
Ces critiques de la droite, Sami Lamhangar, coprésident des Jeunes socialistes fribourgeois, ne les comprend pas. Pour lui, la notion de transparence – savoir qui paie pour quoi – va de soi: «L'initiative permet de renforcer notre démocratie. Selon un récent sondage, 60% de la population n'a plus
«Le seuil de 5000 francs permet de bien cibler ceux qui ont une réelle volonté d’influencer un scrutin»
SAMI LAMHANGAR, COPRÉSIDENT DES JEUNES SOCIALISTES FRIBOURGEOIS
confiance en ses politiciens.» Il se défend de vouloir limiter la protection de la sphère privée: «Pour les personnes physiques, nous avons fixé un seuil à 5000 francs. Cela permet de ne pas toucher le simple citoyen, mais de bien cibler ceux qui ont une réelle volonté d'influencer un scrutin.»
En cas de oui, Fribourg deviendrait le quatrième canton suisse à se doter de dispositions légales sur la transparence du financement politique, après Genève, Neuchâtel et le Tessin. La tâche des initiants s'annonce néanmoins compliquée, leur texte ayant été rejeté tant par le Conseil d'Etat que le Grand Conseil. En 2013 et 2014, les citoyens de Bâle-Campagne et d'Argovie ont refusé des objets similaires.
La transparence du financement politique est un sujet lancinant. Depuis les années 1960, différents projets ont été lancés, mais aucun n'a jamais abouti. Si bien que la Suisse demeure l'un des rares pays démocratiques à ne pas avoir légiféré sur la question, ce qui lui vaut d'être régulièrement montré du doigt au niveau international par le Groupe d'Etats contre la corruption (GRECO).
Genève pionnier
Dans ce domaine, Genève a été précurseur en adoptant un principe de transparence en janvier 2011, lors de la révision de sa loi sur l'exercice des droits politiques. Différent de ce que propose l'initiative fribourgeoise, le système genevois prévoit que les partis représentés au parlement cantonal rendent publics leurs comptes, consultables par n'importe quel citoyen à la Chancellerie. En contrepartie l'Etat leur verse la somme de 100 000 francs par an, plus 7000 francs par élu. Le canton participe également aux frais électoraux (affiches, tracts…) jusqu'à un maximum de 10000 francs par liste.
«Je crois que nous avons trouvé un bon équilibre entre le besoin de transparence et le respect de la marge de manoeuvre des partis», relève Christophe Genoud, vice-chancelier de l'Etat de Genève. Ce système n'a pas provoqué, contrairement aux craintes initiales, une machine bureaucratique. «Les travaux sont effectués par le personnel de la Chancellerie, nous n'avons pas eu besoin d'engager un collaborateur supplémentaire», souligne-t-il, ajoutant que les partis doivent au préalable faire valider leurs comptes par un organisme de révision externe. Surtout, pour Christophe Genoud, ce dispositif a permis de pacifier le débat sur la question du financement des partis après de longues années de discussion.
Au niveau Suisse, le débat ne fait cependant que commencer, une initiative fédérale ayant été déposée par la gauche à l'automne dernier. Le conseiller aux Etats neuchâtelois Didier Berberat, membre du comité d'initiative, scrutera le résultat de Fribourg, ainsi que celui de Schwytz, dont la population vote ce 4 mars sur le même thème: «Plus nombreux seront les cantons à se doter de lois sur la transparence, moins grande semblera la marche à franchir pour la Confédération, à l'image du processus qui a abouti au droit de vote des femmes où les cantons ont joué le rôle de pionniers.»
Quant à l'initiative fédérale proprement dite, les deux Chambres du parlement devraient en débattre lors des sessions de juin et de septembre. La votation pourrait avoir lieu au printemps 2019.
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