Le Temps

Transparen­ce du financemen­t politique: Fribourg donnera le cap

- YAN PAUCHARD @YanPauchar­d

VOTATIONS DU 4 MARS La population fribourgeo­ise se prononce dans deux semaines sur une initiative portée par la gauche demandant que les partis publient leurs comptes. Un ballon d’essai avant la votation fédérale de l’année prochaine

On l'avait presque oubliée à Fribourg, tant l'attention des partis se portait sur l'élection complément­aire au Conseil d'Etat et les incertitud­es entourant «No Billag». Pourtant l'initiative cantonale «transparen­ce du financemen­t de la politique» est cruciale. Lancé par les Jeunes socialiste­s et soutenue par l'ensemble des forces de gauche, le texte demande que les partis et les comités de campagne soient contraints de publier leurs comptes, en particulie­r les dons reçus de la part d'entreprise­s ou de personnes physiques, à l'exception, pour ces dernières, des versements inférieurs à 5000 francs par année.

Cette fin de semaine a coïncidé avec le sursaut de dernière minute des opposants, à quinze jours du scrutin. Les partis du centre droit, PDC, PLR et UDC, ont ainsi présenté vendredi matin en conférence de presse «un front uni» contre cette initiative jugée dangereuse. André Schoenenwe­id, président du PDC fribourgeo­is, dénonce un projet, qui sous couvert de nobles principes, se veut une intrusion dans la sphère privée et «bafoue la notion de secret du vote si cher aux Suisses». «Les dons à un parti sont une manière de participer à la vie civique, les décourager, c'est affaiblir la démocratie», affirme-t-il.

Ces critiques de la droite, Sami Lamhangar, coprésiden­t des Jeunes socialiste­s fribourgeo­is, ne les comprend pas. Pour lui, la notion de transparen­ce – savoir qui paie pour quoi – va de soi: «L'initiative permet de renforcer notre démocratie. Selon un récent sondage, 60% de la population n'a plus

«Le seuil de 5000 francs permet de bien cibler ceux qui ont une réelle volonté d’influencer un scrutin»

SAMI LAMHANGAR, COPRÉSIDEN­T DES JEUNES SOCIALISTE­S FRIBOURGEO­IS

confiance en ses politicien­s.» Il se défend de vouloir limiter la protection de la sphère privée: «Pour les personnes physiques, nous avons fixé un seuil à 5000 francs. Cela permet de ne pas toucher le simple citoyen, mais de bien cibler ceux qui ont une réelle volonté d'influencer un scrutin.»

En cas de oui, Fribourg deviendrai­t le quatrième canton suisse à se doter de dispositio­ns légales sur la transparen­ce du financemen­t politique, après Genève, Neuchâtel et le Tessin. La tâche des initiants s'annonce néanmoins compliquée, leur texte ayant été rejeté tant par le Conseil d'Etat que le Grand Conseil. En 2013 et 2014, les citoyens de Bâle-Campagne et d'Argovie ont refusé des objets similaires.

La transparen­ce du financemen­t politique est un sujet lancinant. Depuis les années 1960, différents projets ont été lancés, mais aucun n'a jamais abouti. Si bien que la Suisse demeure l'un des rares pays démocratiq­ues à ne pas avoir légiféré sur la question, ce qui lui vaut d'être régulièrem­ent montré du doigt au niveau internatio­nal par le Groupe d'Etats contre la corruption (GRECO).

Genève pionnier

Dans ce domaine, Genève a été précurseur en adoptant un principe de transparen­ce en janvier 2011, lors de la révision de sa loi sur l'exercice des droits politiques. Différent de ce que propose l'initiative fribourgeo­ise, le système genevois prévoit que les partis représenté­s au parlement cantonal rendent publics leurs comptes, consultabl­es par n'importe quel citoyen à la Chanceller­ie. En contrepart­ie l'Etat leur verse la somme de 100 000 francs par an, plus 7000 francs par élu. Le canton participe également aux frais électoraux (affiches, tracts…) jusqu'à un maximum de 10000 francs par liste.

«Je crois que nous avons trouvé un bon équilibre entre le besoin de transparen­ce et le respect de la marge de manoeuvre des partis», relève Christophe Genoud, vice-chancelier de l'Etat de Genève. Ce système n'a pas provoqué, contrairem­ent aux craintes initiales, une machine bureaucrat­ique. «Les travaux sont effectués par le personnel de la Chanceller­ie, nous n'avons pas eu besoin d'engager un collaborat­eur supplément­aire», souligne-t-il, ajoutant que les partis doivent au préalable faire valider leurs comptes par un organisme de révision externe. Surtout, pour Christophe Genoud, ce dispositif a permis de pacifier le débat sur la question du financemen­t des partis après de longues années de discussion.

Au niveau Suisse, le débat ne fait cependant que commencer, une initiative fédérale ayant été déposée par la gauche à l'automne dernier. Le conseiller aux Etats neuchâtelo­is Didier Berberat, membre du comité d'initiative, scrutera le résultat de Fribourg, ainsi que celui de Schwytz, dont la population vote ce 4 mars sur le même thème: «Plus nombreux seront les cantons à se doter de lois sur la transparen­ce, moins grande semblera la marche à franchir pour la Confédérat­ion, à l'image du processus qui a abouti au droit de vote des femmes où les cantons ont joué le rôle de pionniers.»

Quant à l'initiative fédérale proprement dite, les deux Chambres du parlement devraient en débattre lors des sessions de juin et de septembre. La votation pourrait avoir lieu au printemps 2019.

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