Le Temps

La Cour suprême décidera des taxes de l’e-commerce

- LOÏC PIALAT, SAN FRANCISCO @loicpialat

Les sites marchands ne paient pas de taxe locale s’ils n’ont pas de présence physique dans un Etat américain. Cela pourrait changer si la plus haute juridictio­n revient sur l’un de ses arrêts datant de 1992. Des milliards de dollars sont en jeu

La Cour suprême n'a pas l'habitude d'annuler ses propres arrêts. La plus haute juridictio­n du pays a pourtant accepté d'entendre un cas qui pourrait remettre en cause une décision prise il y a un quart de siècle. Le litige oppose l'Etat du Dakota du Sud et plusieurs sites marchands dont le spécialist­e du meuble Wayfair (10000 employés et plus de 3 milliards de dollars de revenus annuels) sur le paiement de taxes locales.

«Le cas peut sembler mineur et le problème limité parce qu'il n'est pas question d'impôt fédéral mais l'enjeu, ce sont des milliards par an», affirme au Temps Lisa Soronen, directrice du State and Local Legal Center, une organisati­on qui aide les gouverneme­nts locaux à préparer leur dossier pour la Cour suprême.

Depuis 1992 et une affaire opposant le Dakota du Nord à Quill, un catalogue de vente par correspond­ance, une entreprise qui n'a pas de présence physique dans un Etat est dispensée de payer l'équivalent d'une taxe sur la valeur ajoutée dans cet Etat. D'après le gouverneme­nt américain, le manque à gagner a représenté 13 milliards de dollars l'an dernier. Une étude universita­ire estime, elle, les pertes à 34 milliards de dollars. «Les chiffres font largement débat mais ils restent significat­ifs», explique à notre journal David Herzig, professeur de droit à Valparaiso University (Indiana).

Une économie sans rapport avec 1992

En compagnie d'une dizaine de ses confrères, il appelle à réviser l'arrêt de 1992 jugé injuste pour les petits commerces locaux. «Quill a encore moins de sens aujourd'hui», ajoute Lisa Soronen: l'e-commerce était inexistant en 1992 mais les ventes en ligne ont représenté 394,9 milliards de dollars en 2016 (8,1% des ventes totales).

«Il n'est pas inutile de répéter que l'âge moderne à l'époque de Quill signifiait un Internet rudimentai­re, des appels longue distance et l'absence d'e-mails», rappelle David Herzig. «Les revenus perdus causent une série de problèmes collatérau­x parce que ces Etats fournissen­t des services tels que l'école publique, les infrastruc­tures (routes), les hôpitaux, les pompiers, la police.»

Or le Dakota du Sud fait partie des sept Etats américains à ne pas imposer les revenus. Il dépend de la TVA pour son fonctionne­ment. Le gouverneme­nt local assure perdre 50 millions de dollars par an à cause de Quill. Le Dakota du Sud a cherché à contourner l'arrêt en imposant un impôt de 4,5% aux sites marchands dont les ventes dépassent les 100000 dollars par an. Une mesure attaquée par Wayfair et reboutée par la Cour suprême du Dakota.

L’e-commerce veut une taxe nationale

«Quill est condamné», assure pourtant Lisa Soronen qui n'imagine pas la Cour suprême choisir ce cas simplement pour valider la décision d'une juridictio­n inférieure. «Je ne pense pas que Quill soit dépassé», rétorque Bill Sheehan, vice-président de l'Electronic Retailing Associatio­n (ERA) qui défend les intérêts de l'e-commerce.

Il conteste l'ampleur des pertes de revenus avancées. Il signale par exemple qu'Amazon représente 43,5% du commerce en ligne. Or, le géant de Seattle, présent dans l'immense majorité du pays, s'acquitte des TVA locales. Sauf que la moitié de ses ventes se fait via des tiers qui ne paient pas toujours ces taxes.

Amazon, comme l'ERA, privilégie l'idée d'une TVA fédérale mise au point par le Congrès. Un moyen pour les petits sites de s'épargner un casse-tête administra­tif avec 50 fiscalités différente­s, dit Sheehan.

La Cour suprême écoutera les deux parties au printemps et pourrait se prononcer avant l'été. L'affaire n'est pas sans évoquer les efforts européens contre l'optimisati­on fiscale des géants d'Internet. Google déclare par exemple l'essentiel de ses bénéfices via sa filiale irlandaise, profitant ainsi d'un faible taux d'imposition. La France veut imposer un redresseme­nt fiscal de plus d'un milliard d'euros à la multinatio­nale. Un tribunal français a donné raison à la firme de Mountain View l'été dernier, Google ne disposant pas «d'établissem­ent stable en France».

L’affaire n’est pas sans évoquer les efforts européens contre l’optimisati­on fiscale des géants d’Internet

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