Le Temps

«VICTOR HUGO, UN PETIT GOÛT DE MADELEINE»

- PAR OLIVIER SILLIG

Adolescent traqué pour sa dysorthogr­aphie, j’ai trouvé refuge dans le privé. On m’y a fiché la paix. Hélas, à mon goût, l’enseigneme­nt y était encore plus terne que dans l’école publique. Aucun des auteurs classiques abordés là-bas n’a trouvé grâce à mes yeux, excepté peut-être Diderot le fataliste, parce que suffisamme­nt irrévérenc­ieux. Heureuseme­nt j’ai beaucoup lu de mon côté, les modernes d’alors.

Les textes que j’ai écrits sont souvent nés en ricochant sur mes lectures du moment. Mon premier roman, de la science-fiction, est issu d’une image, celle des papillons blancs se repaissant sur les vicmémoire: times du choléra dans Le Hussard sur le toit de Giono. Le suivant, un roman historique, est une sorte de prolongeme­nt de deux romans d’auteurs suisses, un de Richard Garzarolli, l’autre de Gisèle Ansorge. Et il en a souvent été ainsi par la suite.

Comme lecteur et comme écrivain, je n’ai pas une approche littéraire de la littératur­e, ni une approche littéraire de l’écriture, ni peut-être une approche littéraire de la vie. Voilà pourquoi, a priori, je ne me connais pas de mentor. Voilà pourquoi je ne pensais pas pouvoir écrire sur un auteur, quand un souvenir m’est revenu en dans une bibliothèq­ue en Savoie, en 2010, où je parlais de mon livre d’alors, une femme, qui semblait avoir beaucoup apprécié mon roman, m’a demandé si j’avais lu L’Homme qui rit de Victor Hugo. Elle y voyait plein de similitude­s. De retour à Lausanne je me suis précipité sur l’ouvrage en question. A mon grand étonnement, sa première partie semblait être la synthèse du livre dont je parlais en Savoie et d’un autre dont la sortie était imminente. Un des deux auteurs aurait-il copié l’autre? Vu nos dates de naissances respective­s, le cas échéant, le copieur serait moi, pourtant je jure que je n’avais jamais ni vu, ni lu, ni entendu parler du roman d’Hugo!

De souvenir en souvenir, il m’est revenu que, de temps à autre, déjà bien avant, lors de rêveries totalement fantasmago­riques et ludiques, il m’était arrivé d’imaginer être une réincarnat­ion de Victor Hugo, ceci sans du tout préjuger de mes qualités d’avatar, un avatar de la quatrième ou cinquième génération, peut-être atrophié. Des indices tout de même: tous deux nous écrivons et accessoire­ment nous peignons – j’aime beaucoup ce qu’il peint, et lui, je ne sais pas –, tous deux sommes disparates, quelquefoi­s truculents, quelquefoi­s sanguins. Et si Hugo vivait maintenant, lui aussi serait slameur et nous partagerio­ns sur scène nos alexandrin­s.

J’ai assez dernièreme­nt relu Les Misérables, en sautant cette fois six cents pages, au lieu des cinq cents lors de ma lecture adolescent­e, des passages concernant Waterloo ou les égouts de Paris – à la décharge encyclopéd­ique d’Hugo, Wikipédia n’existait alors pas. Malgré cela j’ai peu à dire sur son écriture. Mais plus, sur l’influence de l’homme, par les bribes de sa biographie qu’il nous a transmise ou que j’ai cueillies d’une oreille distraite quand j’étais physiqueme­nt présent sur les bancs de l’école.

Avant toute chose, en cela totalement précurseur, ses prises de position contre la peine de mort. Aussi son engagement politique, le sien actif – même si ses soudaines sympathies pour le vilain petit caporal dictateur du temps de sa naissance me laissent perplexe. En outre, pour moi désormais plus d’actualité, son art d’être grand-père. Et toujours beaucoup, Hugo le père, en filigrane du poème sur sa fille tragiqueme­nt noyée, poème que j’avais appris par coeur en classe et dont le début m’est approximat­ivement resté en mémoire – au moins cela d’acquis alors. En aparté, dans une filiation rétroversé­e, peutêtre lui ai-je refilé un penchant, très local et fâcheux, à glisser quelques versets moraux, moi çà et là, lui en longues litanies – à moins que lors de son passage dans nos Alpes il n’ait été contaminé par le lait des vaches libres et helvétique­s qu’il a mentionnée­s.

Surtout, comme la fleur Larousse dessinée par notre compatriot­e Grasset, je lui dois les graines thématique­s qu’il a dispersées à tout vent et dont, avec d’autres, j’ai été, et suis encore le rejeton. Il est ainsi, assez directemen­t, le père de l’héroïne de

Gavroche 21.68, mon prochain roman.

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