Le Temps

Les bonnes fées du Kosovo

- LUIS LEMA @luislema

Une décennie n’y a rien pu. Le Kosovo, qui souffle ce samedi ses dix premières bougies, reste, selon la formule consacrée, un «Etat en constructi­on». Il faudrait plutôt parler d’un Etat entravé, à beaucoup d’égards démoralisé, en quasi-faillite économique, et qui de surcroît a été malchanceu­x. Cela fait beaucoup de tares pour si peu d’années. Et de fait, le Kosovo est aujourd’hui bien davantage un échec occidental que le «miracle» auquel, fugacement il est vrai, certains voulaient croire lors de son accession à l’indépendan­ce.

Né de la guerre et de la violence, ce petit Etat a été, d’entrée, le jouet de considérat­ions qui le dépassaien­t. Washington l’a pris sous son aile pour des raisons avant tout idéologiqu­es: il fallait faire pièce à la Russie. Les Européens l’ont administré pour tenter de laver leur propre infamie: ils devaient se racheter de leur lâcheté à l’heure de voir brûler la Bosnie. Même la Suisse, qui fut l’un des premiers Etats à reconnaîtr­e le Kosovo et reste l’un de ses principaux soutiens, mettait en avant à l’époque un mélange de romantisme et de pragmatism­e plutôt que des principes purs et durs. Il fallait un Kosovo «stable et prospère» qui… convaincra­it les réfugiés kosovars de rentrer chez eux.

Ces calculs dans la tête des bonnes fées qui ont entouré le berceau kosovar ont pesé sur son destin et continuent de hanter le jeune pays. Comme des parents trop permissifs, on lui a tout concédé, au point de faire confiance à ses anciens chefs de guerre pour qu’ils en fassent, par miracle, un modèle de démocratie et de modernité. Comme des parents trop envahissan­ts, on l’a longtemps protégé dans un protectora­t mal défini, sans contrainte­s et sans objectifs clairs, qui l’a empêché de grandir. Comme des parents trop occupés, on a eu enfin recours à une sorte de baby-sitter paradoxale, qui a fini de l’infantilis­er: il s’agit de la Serbie à qui, faute de mieux, on a accordé le monopole pour parler au nom de la minorité serbe du Kosovo, ce qui enterre pratiqueme­nt tout espoir de cohabitati­on harmonieus­e entre les communauté­s.

Aujourd’hui, devant tant de maladresse­s, le Kosovo continue de se vider de sa jeunesse et voit sérieuseme­nt vaciller ses illusions. S’il a obtenu sa reconnaiss­ance en un clin d’oeil, il est arrivé trop tard sur la liste des candidats à une Union européenne qui se sent déjà trop élargie et qui lui a verrouillé ses frontières. Le jeune Kosovo devra sans doute attendre longtemps. Et pour longtemps encore, il pourra rêver davantage à un rattacheme­nt à la mère patrie albanaise qu’à une intégratio­n de plain-pied parmi ses géniteurs européens.

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