Imam-aumônier, un «rempart» à la radicalisation
La plus grande prison de Suisse dans le canton de Zurich emploie un imam à plein temps pour l’aumônerie. Le modèle suscite l’enthousiasme des autorités, mais les obstacles ne manquent pas
Sakib Halilovic fait figure d'exception, comme aumônier musulman employé à plein temps dans une prison: celle de Pöschwies, à Regensdorf (ZH), plus grand centre pénitentiaire de Suisse. Voilà déjà trente ans que des imams foulent les couloirs des prisons suisses, depuis 1987 et la décision du Tribunal fédéral d'autoriser l'organisation de prières du vendredi. Mais il a fallu attendre 2017 pour que l'un d'entre eux accède à une formation continue destinée spécifiquement aux aumôniers en milieu carcéral. Sakib Halilovic est le premier étudiant de ce certificat d'études spécialisées (CAS) de l'Université de Berne.
«Construire une relation de confiance»
Longtemps médiatisé en Suisse alémanique, ce cinquantenaire, père de cinq enfants, fondateur du premier centre culturel pour la communauté bosnienne à Schlieren il y a vingt-six ans, s'est forgé une réputation de modéré, bâtisseur de ponts. Son travail lui impose désormais davantage de discrétion. Derrière les murs de Pöschwies, son rôle ne s'arrête pas aux prières du vendredi ni à la lecture du Coran. «Nous parlons aussi de situations très personnelles avec les détenus, de leur avenir, du retour à la société», dit-il.
Sakib Halilovic envisage son rôle également comme un rempart contre la radicalisation. A condition de pouvoir «construire une relation de confiance, à même de désamorcer des situations potentiellement conflictuelles», expliquet-il. Les détenus le questionnent souvent sur l'islam, les attentats, la politique. Mais il affirme n'avoir «jamais été confronté» à un individu radicalisé au cours de ses fonctions prises en 2011, d'abord de manière ponctuelle, puis à plein temps depuis l'an dernier.
La propagation d'idéologies radicales en milieu carcéral, qui a pris dans les pays voisins comme la France une ampleur inquiétante, taraude aussi les pouvoirs publics en Suisse, dans une moindre mesure toutefois. «Les délinquants incarcérés représentent une population à risque, mais la radicalisation ne concerne qu'une poignée de personnes», souligne Hasni Abidi, directeur du Cermam (Centre d'étude et de recherche sur le monde arabe et musulman), qui donne depuis quatre ans des cours dans les prisons suisses pour sensibiliser l'ensemble des employés dans le pénitentiaire à ces questions.
La formation du personnel carcéral figure dans l'éventail des mesures de lutte contre la radicalisation présentées par le Conseil fédéral en décembre dernier. Début février, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga s'est rendue, en visite, à la prison de Pöschwies. La ministre de la Justice ne tarit pas d'éloges sur cet «exemple zurichois» qui devrait inspirer la Suisse. Un enthousiasme qui contraste avec la réalité du terrain. L'offre de formation pour aumônier musulman en est au stade embryonnaire. «L'une des conditions pour suivre ce cursus est d'avoir achevé un master en théologie. Or peu d'imams, en Suisse, possèdent ce degré de formation», souligne Sakib Halilovic, qui a suivi un cursus d'études en théologie islamique en Bosnie.
Soupçons et contrôles policiers
Autre obstacle: les soupçons autour des imams formés à l'étranger. Le «modèle» Pöschwies n'y échappe pas: deux collègues de Sakib Halilovic ont fait l'objet de sévères critiques dans la presse zurichoise l'an dernier. L'un, formé en Arabie saoudite, pour ses liens supposés avec des milieux salafistes. L'autre, pour sa proximité avec la Présidence des affaires religieuses en Turquie (Diyanet). «Nous avons tous trois fait l'objet de contrôles policiers avant d'entrer en fonction. Je connais bien mes collègues et j'ai une entière confiance en eux. Si l'un d'entre eux adopte une ligne plutôt conservatrice, cela ne fait pas de lui un salafiste», rétorque Sakib Halilovic.
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