Le Temps

LA DIFFÉRENCE EST UNE FORCE

L’exposition est destinée à étonner le visiteur tout en contrant les idées reçues concernant cette «maladie»

- PAR LAURENCE CHAUVY

En art comme dans la vie en société, les personnes avec trisomie 21 ont beaucoup à apporter. Une exposition en témoigne au Centre Paul Klee de Berne

Qu’un espace d’exposition aussi vaste et lumineux que le Centre Paul Klee, conçu pour mettre en valeur des oeuvres picturales, accueille une manifestat­ion telle que Touchdown en dit beaucoup sur la visée des organisate­urs et la réussite de leur projet. Salué pour la manière dont il intègre tous les publics, et en souvenir de l’intérêt de Klee envers les artistes non profession­nels, le musée bernois s’ouvre ainsi à une manifestat­ion interdisci­plinaire dont il est peu coutumier. Réalisée avec la participat­ion active des personnes directemen­t touchées par la problémati­que, l’exposition dédiée à la trisomie 21 parvient à éviter tous les pièges, en alliant le côté ludique, l’aspect artistique, l’intérêt didactique et l’apport humain.

AVANT DE MOURIR

Le titre, Touchdown, fait naturellem­ent référence au syndrome de Down et à la personnali­té de ce médecin anglais, John Langdon Down (1828-1896), qui le premier le décrivit. La traduction du terme, «atterrissa­ge», désigne également le canevas choisi par les commissair­es d’exposition et par leurs assistants: des «extraterre­stres» atteints de trisomie 21 auraient atterri dans le musée et mèneraient l’enquête… Etude ethnograph­ique, autour d’objets du quotidien de personnes concernées, commentées par elles-mêmes, rappels historique­s, explicatio­ns relevant de la génétique et oeuvres d’art, pour certaines de créateurs accueillis à la Collection de l’art brut à Lausanne, portraits photograph­iques, et autoportra­its par la parole et l’écriture, composent ce kaléidosco­pe.

Le tout est destiné à étonner le visiteur, et à répondre à ses questions – concernant la santé, le droit, les perspectiv­es sociales, la science – tout en contrant les idées reçues concernant cette «maladie». Car justement, il ne s’agit pas d’une maladie, d’une différence plutôt, qui a sa source dans notre capital chromosomi­que. A la question de savoir comment elles désirent être appelées, Julia Bertmann, qui fait partie du comité consultati­f et a contribué à la rédaction du catalogue, ainsi qu’une autre jeune femme, répondent qu’elles refusent les termes de mongolien ou de «downie». Elles sont avant tout, insistent-elles, des personnes. L’exposition leur donne raison, d’une manière efficace: les textes sont traduits en «langue claire», un langage simple compris des premiers intéressés.

Car, oui, les personnes trisomique­s lisent, écrivent aussi, pour certaines aiment particuliè­rement le faire, comme en témoignent des cahiers remplis et des photograph­ies assorties de légendes. Telle cette série de phrases commençant par «Bevor ich sterbe»: avant de mourir, lit-on, j’aimerais épouser mon ami, avant de mourir j’aimerais faire de la musique, avant de mourir j’aimerais être heureuse. Ou encore, signé Daniel Rauers: «Bevor ich sterbe, will ich weiter leben», avant de mourir, je veux vivre encore. La volonté de vivre, et de vivre normalemen­t, apparaît dans chaque partie de cette exposition d’abord montée à Bonn, et présentée à Berne dans une version adaptée à la situation suisse, mais guère différente du contexte allemand. UNE FÊTE

Des traces dans l’histoire de l’art sont recherchée­s, et trouvées non sans mal, par exemple dans cette

Adoration du Christ due à des épigones de Jan Joest van Kalkar vers 1515, où l’un des anges porte les traits typiques de la trisomie 21. Qu’un modèle trisomique ait été choisi pour figurer un ange est plutôt rassurant, quant à la manière dont fut considérée cette particular­ité au cours des âges. Néanmoins, bien d’autres indices tendent à suggérer plutôt l’exclusion, notamment pendant la période sombre du national-socialisme en Allemagne, à laquelle est réservée une section tragique et effrayante.

Les oeuvres d’artistes touchés par le syndrome de Down, les objets mystérieux ficelés de laine multicolor­e de Judith Scott ou ce magnifique tableau brodé réalisé par Birgit Ziegert, sont nettement plus joyeuses, et contribuen­t à faire de cette exposition une manière de fête. La vidéo est de la partie, ainsi que le dessin, la peinture et l’objet. En somme, l’exposition manifeste la volonté des personnes avec trisomie 21 de sortir au grand jour, telles qu’elles sont. Le message est reçu. ▅

«Touchdown. Une exposition avec et sur des personnes avec trisomie 21», Centre Paul Klee, Berne, jusqu’au 13 mai.

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 ?? (COLLECTION DE L’ART BRUT, LAUSANNE/ ESTATE OF JUDITH SCOTT/PHOTO LEON BORENSZTEI­N) ?? A gauche: Judith Scott, sans titre, env. 1998, fils de laine et matériaux divers, 94 x 73,7 x 83,8 cm.
(COLLECTION DE L’ART BRUT, LAUSANNE/ ESTATE OF JUDITH SCOTT/PHOTO LEON BORENSZTEI­N) A gauche: Judith Scott, sans titre, env. 1998, fils de laine et matériaux divers, 94 x 73,7 x 83,8 cm.
 ?? (MARTIN LANGHORST) (ATELIER GOLDSTEIN LEBENSHILF­E, FRANCFORT/ PHOTO DAVID ERTL, COLOGNE) ?? En haut à droite: Johanna von Schönfeld, «Superkräft­e», 2013. En bas à droite: Birgit Ziegert, sans titre, 2014, broderie de laine sur plastique, 204 x 164 cm.
(MARTIN LANGHORST) (ATELIER GOLDSTEIN LEBENSHILF­E, FRANCFORT/ PHOTO DAVID ERTL, COLOGNE) En haut à droite: Johanna von Schönfeld, «Superkräft­e», 2013. En bas à droite: Birgit Ziegert, sans titre, 2014, broderie de laine sur plastique, 204 x 164 cm.

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