Le Temps

LA RENAISSANC­E, PROMESSE D’UN AVENIR RADIEUX

- PAR JOHN E. JACKSON

Convoquer la Renaissanc­e pour conforter des conviction­s ou des projets politiques, nombreux sont ceux qui ont cédé à la tentation. Dans un essai érudit, Daniel Maira remet en contexte le débat qui, de 1814 à 1848, fit rage sur une période fantasmée, objet de multiples définition­s ◗ Pourquoi, dans Le Rouge et le

Noir, Mathilde de la Môle, avant de se donner à Julien Sorel, faitelle l’éloge de Boniface de la Môle, son ancêtre du temps des guerres de religions? Pourquoi, dans Le

Roi s’amuse de Victor Hugo, est-ce le roi François 1er que le bouffon Triboulet incite à la débauche? Pourquoi est-ce dans la Florence des années 1530 que se déroule l’intrigue de Lorenzacci­o d’Alfred de Musset? La réponse est la même dans les trois cas: parce qu’il s’agit du XVIe siècle et que Stendhal, Hugo et Musset voient dans ce siècle le miroir aussi bien d’une énergie que d’une liberté qu’ils sont prompts à opposer à l’inertie, à la frilosité et au manque de liberté de leur propre époque. En bons Romantique­s, ils se tournent vers le passé pour mieux critiquer leur présent.

FINS POLITIQUES

Pas n’importe quel passé, cependant: le passé de ce qu’on est convenu d’appeler la Renaissanc­e. Dans un ouvrage savant, Daniel Maira étudie ce qu’il nomme les «mises en fiction du XVIe siècle» pour la période allant de 1814 à 1848. Bien davantage qu’une simple étude littéraire, son livre est aussi une réflexion sur un phénomène qui nous concerne autant aujourd’hui qu’il pouvait concerner les hommes de la Restaurati­on ou de la Monarchie de Juillet: l’utilisatio­n de l’histoire révolue à des fins politiques.

Il n’y a là aucun hasard. Une société, quelle qu’elle soit, a besoin de se projeter dans l’avenir. L’image – ou l’utopie – qu’elle développe ainsi doit s’appuyer sur quelque chose. Elle ne peut guère se fonder sur le présent puisque ce présent est le plus souvent ce qu’elle ambitionne politiquem­ent de changer. Elle convoque donc le passé. Mais le passé est une dimension multiple et hétérogène. Pour la France de la Restaurati­on (1815-1830), par exemple, le passé immédiat (la Révolution puis l’Empire) est-ce à quoi il faut tourner le dos. Au profit de quoi? Du Moyen Age, rêvé comme époque de l’unité d’une société chrétienne et monarchist­e qu’on souhaite reconstitu­er? Certes, si l’on appartient au clan des traditiona­listes. Mais si l’on est plus résolument tourné vers la modernité? Ou de la Renaissanc­e? Mais qu’est-ce que la Renaissanc­e? La fin du Moyen Age? L’âge de la Réforme? L’âge des libertés (religieuse, politique, économique), des génies?

SÉLECTION INTÉRESSÉE

Comme le montre Daniel Maira, la définition même de la Renaissanc­e – ce qu’il nomme sa «mise en fiction» – est l’enjeu d’un vif débat idéologiqu­e. Marchant sur les traces d’une conception de l’histoire qui doit beaucoup à Michel Foucault comme à Michel de Certeau, les quelque 650 pages de cet ouvrage important montrent avec un grand luxe de détails comment aussi bien les historiens (Jules Michelet, Edgar Quinet, Victor Cousin), les idéologues (Louis de Bonald, Joseph de Maistre, Louis-Antoine-François de Marchangy) que, surtout, les écrivains (Honoré de Balzac, Stendhal, Victor Hugo, Prosper Mérimée) informent (ou, si l’on préfère, déforment) l’image de la Renaissanc­e en fonction de leurs propres conviction­s et surtout de leurs propres espoirs politiques.

Il se produit ainsi une instrument­alisation de l’histoire dont on met en relief tel ou tel aspect de préférence à d’autres pour mieux légitimer le sens dans lequel on voudrait infléchir le cours politique actuel. C’est ainsi, par exemple, qu’on vantera ou qu’on incriminer­a l’esprit critique lié à la Réforme, qu’on louera «le bon Roi Henri» (Henri IV) pour sa tolérance, son souci du peuple ou sa fidélité à la monarchie, qu’on vantera la rigueur ou qu’on dénoncera la cruauté de l’époque des guerres de religions.

Outre son apport érudit, la leçon à tirer de la lecture de cet ouvrage est combien le regard que nous posons sur notre temps, sur la société de notre temps, est déterminé par les choix (conscients et inconscien­ts) que nous opérons parmi les éléments de l’histoire qui nous a précédés. Comme le dira T. S. Eliot, au début du premier de ses Quatre Quatuors: «Temps présent et temps passé/sont peut-être tous deux présents dans le temps futur/et le temps futur contenu dans le temps passé.»

 ?? (BUYENLARGE/ GETTY IMAGES) ?? Lippi Filippino (ca. 1457/ 1504), «Portrait d’un jeune homme», 52,1 × 36,5 cm.
(BUYENLARGE/ GETTY IMAGES) Lippi Filippino (ca. 1457/ 1504), «Portrait d’un jeune homme», 52,1 × 36,5 cm.
 ??  ?? Genre | Essai
Auteur | Daniel Maira Titre | Renaissanc­e romantique. Mises en fictions du XVIe siècle Editeur | Droz
Pages | 647
Genre | Essai Auteur | Daniel Maira Titre | Renaissanc­e romantique. Mises en fictions du XVIe siècle Editeur | Droz Pages | 647

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland