Le Temps

CARMEN SAUVÉE PAR LE RIRE

- PAR ISABELLE RÜF

Variations salutaires sur la nouvelle de Mérimée

A la scène comme à la ville, les hommes tuent les femmes qui les trompent, qui les quittent. C’est normal, c’est inscrit dans la tragédie. «On appelle fatales les femmes que l’on doit fatalement tuer», remarque Sophie Rabau. Dans Carmen pour changer, elle met en question cet ordre millénaire et cherche dans la nouvelle de Mérimée les failles qui permettrai­ent à la bohémienne d’éviter la mort. Sophie Rabau est une universita­ire qui pratique la variation littéraire: «Je ne veux escamoter ni le nom ni l’oeuvre de Mérimée. Je veux composer le même texte, du même auteur, mais le donner à lire sous un autre aspect.»

Dans B. comme Homère, elle refaisait le voyage de Victor Bérard sur les traces d’Ulysse, en infligeant le même traitement à l’helléniste que lui-même au héros grec. Ici, elle lit Mérimée à la loupe, Carmen, mais aussi La Vénus d’Ille, cherche les failles, les incohérenc­es qui lui permettron­t de proposer des alternativ­es à la prière de don José: «Laisse-moi te sauver et me sauver avec toi.»

Et si Carmen n’avait aucun besoin d’être «sauvée»? Dans ce monde d’hommes, elle semble se débrouille­r très bien, dispose de nombreux alliés et d’une grande habileté. Sophie Rabau ne lui propose pas moins de huit variations, selon différents points de vue, tous envisageab­les. La mort de Carmen gêne: le directeur de l’Opéra-Comique de Paris, vers 1874, ne craignait-il pas de faire fuir le public avec cette histoire de femme assassinée? Et en janvier 2018, à Florence, dans la mise en scène de Leo Moscato de la Carmen de Bizet, c’est l’héroïne qui tue le jaloux.

L’ARME FATALE

Sophie Rabau est une universita­ire rigoureuse dotée d’un formidable humour et d’une grande liberté. Pour sauver Carmen malgré elle, elle emploie toutes sortes de stratégies, va chercher les exemples chez d’autres héroïnes, convoque Chaplin (1915) et Spike Jones (1953). Au fond, la grande arme, contre les jaloux et les mâles blessés, c’est le rire. En entrée et en conclusion de son essai, Sophie Rabau évoque discrèteme­nt la mort de Marie Trintignan­t: si l’actrice avait pu rire face à la «fatalité» du «mouvement de rage et de jalousie» de son amant, la fin n’aurait-elle pas pu être différente?

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Genre | Roman Auteur | Sophie Rabau Titre | Carmen, pour changer Editeur | Anacharsis Pages | 222

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