«Un parti unique ne peut répondre à tous les problèmes»
Président d’un parti d’opposition oromo, Merera Gudina est sorti de prison il y a un mois, après plus d’un an de détention. Il revient sur la démission surprise du premier ministre et le retour de l’état d’urgence dans son pays
La crise politique s'accentue en Ethiopie. Le gouvernement a de nouveau déclaré l'état d'urgence, conformément à ce que permet la Constitution de 1995. Arrestations sans mandat, interdiction de manifester, de publier des écrits considérés comme pouvant «perturber» le public ou créer des «dissensions» dans la population… La coalition au pouvoir, le Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (FDRPE), explique ne pas avoir le choix face aux violences à caractère ethnique qui secouent le pays. Mais les critiques sont nombreuses, de la diplomatie américaine jusqu'à l'opposition oromo (35 à 40% de la population).
Interview du président du Congrès fédéraliste oromo (CFO, qui n'a aucun représentant au parlement), le docteur Merera Gudina, emprisonné pendant plus d'un an et libéré le 17 janvier.
L’Ethiopie est de nouveau en état d’urgence, qu’en pensez-vous? C'est ce qui faisait le plus peur à certains d'entre nous. Je ne crois pas que ce soit de nature à régler la crise politique que traverse ce pays, en aucune manière. L'état d'urgence signifie qu'on t'empêche de mener tes activités. J'ai par exemple été détenu parce que les autorités ont affirmé que je n'avais pas respecté l'état d'urgence en voyageant en Europe pour être auditionné par le Parlement européen [le 9 novembre 2016]. L'état d'urgence, ce sont des détentions, des tueries… Vous savez, des milliers et des milliers d'Oromos ont été emprisonnés à cause de cette mesure, donc ce n'est vraiment pas une bonne nouvelle.
MERERA GUDINA PRÉSIDENT DU CONGRÈS FÉDÉRALISTE OROMO «Les Ethiopiens refusent désormais d’être dirigés «à l’ancienne» par le parti au pouvoir»
Craignez-vous un coup d’Etat militaire? La mise en oeuvre de l'état d'urgence se fait, sans aucun doute, à travers les structures militaire et sécuritaire. Qu'on le qualifie de «coup» ou autrement, ce n'est rien d'autre que l'usage illimité de la force pour «pacifier» le peuple. Je ne pense pas que ce soit un «coup d'Etat» dans le sens où c'est le parti au pouvoir qui le met en oeuvre. Cela pourrait en revanche être un coup «contre l'Etat», mais pas contre le parti (sourire).
Que pensez-vous de la situation actuelle, et notamment de la démission du premier ministre? Le pays est à un tournant majeur. Pas à cause de la démission d'Hailemariam Desalegn, mais parce que la crise politique va crescendo. Les Ethiopiens ont atteint un point où ils refusent désormais d'être dirigés «à l'ancienne» par le parti au pouvoir.
Pourquoi pensez-vous qu’Hailemariam Desalegn a démissionné? Est-ce parce qu’il est trop libéral et voulait des réformes? Il est évident qu'Hailemariam n'a pas l'autorité de l'ancien premier ministre [Meles Zenawi, décédé en 2012], donc cette démission peut être la conséquence de pressions du parti au pouvoir ou ça peut bien être n'importe quoi d'autre, pour nous ce n'est pas si important.
Ce n’est pas une nouvelle importante? Non vraiment pas. Pas pour nous. Ce qui est important, c'est la prochaine étape à l'intérieur de la coalition au pouvoir, le Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (FDRPE). Il a commencé à libérer les prisonniers politiques, mais on attend beaucoup plus.
C’est-à-dire? L'ouverture de l'espace politique, de véritables négociations avec les forces politiques qui bénéficient d'un soutien de la population, des négociations à propos du Bureau national des élections pour en faire une institution réellement indépendante et neutre et, enfin, la préparation d'élections libres et justes [programmées en 2020].
Y aura-t-il une grande coalition oromo? Si oui, que deviennent les Amharas, les Tigréens et les autres «nationalités» éthiopiennes dans le futur partage du pouvoir? L'aspiration commune des peuples de ce pays, et pas seulement des Oromos, c'est la démocratisation de l'Etat éthiopien. Cela inclut bien sûr l'opposition tigréenne [les Tigréens dominent la coalition FDRPE au pouvoir depuis 1991], et on travaille avec eux. Par exemple, Medrek [coalition dont fait partie le CFO de Merera Gudina] est une alliance de quatre partis, dont l'un est tigréen. Donc la question d'une grande coalition oromo contre les autres, ou d'une grande coalition amhara contre les autres, ne se pose pas. Les vraies questions sont donc: l'Etat éthiopien peut-il se démocratiser? Le parti au pouvoir a-t-il la volonté politique de le faire?
Il y a eu des négociations l’an dernier avec certains partis politiques… Ces discussions concernaient uniquement des gens liés au parti au pouvoir. Il faut de vraies négociations politiques, immédiatement. Et vous y croyez? Parce que l’état d’urgence n’est pas un signe positif de ce point de vue… Non. L'Ethipopie est en crise et ils ont choisi cette manière de la gérer. Ce pays est trop grand pour un seul parti, c'est un pays de 100 millions d'habitants, tellement diversifié! Un seul parti ne peut répondre à tous les problèmes.