Le Temps

Un procureur des crimes de guerre claque la porte du Ministère public

- ANTOINE HARARI @AntoineHar­ari

Stefan Waespi, expert en droit pénal internatio­nal et chargé de plusieurs cas de crimes de guerre au Ministère public de la Confédérat­ion, a démissionn­é fin janvier. Il laisse plusieurs enquêtes en cours

L’unité Crimes de guerre du Ministère public de la Confédérat­ion (MPC) est de nouveau dans la tourmente. Les affaires de Rifaat el-Assad et du général Nezzar verront un quatrième procureur se pencher sur elles en l’espace de quatre ans. Après le licencieme­nt de Laurence Boillat et le court intérim d’Andreas Müller en 2016, c’est au tour de Stefan Waespi de jeter l’éponge, ainsi que l’a appris Le Temps.

Selon notre enquête, cet ancien procureur auprès du Tribunal internatio­nal pour l’ex-Yougoslavi­e (TPIY) était mécontent depuis un certain temps. La pression de la hiérarchie et le manque d’indépendan­ce auraient eu raison de ses nerfs. En effet, comme Le Temps le révélait en novembre dernier, ces affaires, sensibles politiquem­ent, sont classées orange par l’organe de contrôle interne du MPC. Du coup, pour chaque acte d’instructio­n, le procureur chargé du dossier doit faire remonter ses décisions à la hiérarchie.

Comme l’affirme une ancienne collaborat­rice, la marge de manoeuvre de Stefan Waespi était quasiment inexistant­e. «Lors de plusieurs réunions, on lui a fait comprendre que les cas de crimes de guerre n’étaient pas la priorité du MPC», explique cette ancienne fonctionna­ire. Plus grave encore, les supérieurs de Stefan Waespi l’auraient mis sous pression, afin qu’il classe la procédure Nezzar. «La question n’était pas pourquoi il fallait classer, mais bien comment trouver un prétexte pour le faire», explique-t-elle.

Me Bonnant regrette

Avocat du général Nezzar, Me Marc Bonnant avoue sa surprise devant ce départ et dit regretter la perte d’un homme «aussi compétent que respectueu­x». L’ancien bâtonnier genevois ajoute: «Le problème, c’est que, pour chaque dossier qui sera repris, ce sont des mois et des mois de familiaris­ation qui seront nécessaire­s. Dans le cas où la justice déciderait par malheur de casser la décision de classement envers mon client, il ne serait pas jugé avant 2020!»

En plus de ces deux affaires, qui sont encore en suspens devant le Tribunal pénal fédéral de Bellinzone, le procureur Stefan Waespi laisse derrière lui la procédure Sonko, qui vise l’ancien ministre de l’Intérieur gambien, emprisonné à Berne depuis plus d’un an. Une décision d’autant plus surprenant­e que le procureur avait lui-même déclaré espérer amener cette procédure en procès d’ici à la fin de l’année. L’avocat d’Ousman Sonko, Philippe Currat, est circonspec­t: «J’ai peur qu’il n’y ait pas assez de moyens attribués à cette unité. Le législateu­r n’avait pas prévu qu’il y aurait autant de cas nécessitan­t la compétence universell­e. Du coup, les procureurs ont beaucoup de dossiers en même temps et leur stratégie sur les affaires s’en ressent.» L’homme de loi regrette aussi la perte d’un «spécialist­e en la matière» et espère que son poste sera repourvu.

Effectifs restreints

Pourtant, le manque de temps à dispositio­n des procureurs de l’unité Crimes de guerre n’est pas un problème récent. En effet, il date de la réorganisa­tion du Ministère public de 2015, qui a rattaché ce départemen­t à la division Entraide judiciaire. Depuis cette fusion, les effectifs de l’unité ont été systématiq­uement restreints. Une source au sein du Ministère public nous a déclaré avoir reçu comme ordre de la part de la responsabl­e de la section, Lucie Wellig, d’accorder la priorité aux dossiers d’entraide.

Trial Internatio­nal inquiète

Une situation qui inquiète Philip Grant, fondateur de Trial Internatio­nal, une ONG spécialisé­e dans la traque de criminels de guerre. «Il est indispensa­ble que l’unité puisse être distincte et spécialisé­e. Les dossiers d’entraide internatio­nale n’ont rien à voir avec les affaires concernant des crimes de guerre ou contre l’humanité. Il y va de la crédibilit­é de la Suisse comme Etat dépositair­e des Convention­s de Genève.»

Contacté, Stefan Waespi nous a confirmé ne plus travailler pour la Confédérat­ion et déclaré n’avoir rien à ajouter. Selon nos recherches, ses dossiers seront repris par trois procureurs différents. Une informatio­n confirmée par le MPC, qui ajoute que des procureurs de la division Entraide judiciaire et Droit pénal internatio­nal se répartiron­t les procédures en cours. Refusant d’entrer dans les détails concernant les raisons de son départ, il ajoute: «Le procureur a choisi de poursuivre son parcours profession­nel dès le 1er février comme expert au profit d’une organisati­on internatio­nale en Afrique de l’Ouest.»

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STEFAN WAESPI

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