Le Temps

«La blockchain arrive dans les aéroports»

Basée à Genève, la Société internatio­nale de télécommun­ication aéronautiq­ue (SITA) est le numéro un mondial des systèmes informatiq­ues liés au transport aérien. Entretien avec sa directrice générale, Barbara Dalibard

- PROPOS RECUEILLIS PAR DEJAN NIKOLIC @DejNikolic

Fondée il y a près de 70 ans, la Société internatio­nale de télécommun­ication aéronautiq­ue (SITA) est une référence mondiale en matière de technologi­es appliquées à la mobilité aérienne. L’entité basée à Genève commercial­ise notamment des systèmes intelligen­ts pour suivre les avions en temps réel et permet de prévoir les aléas du transport grâce à des outils d’analyse prédictive. Elle offre également des solutions de gestion des frontières utilisées par plus de 30 gouverneme­nts.

Aujourd’hui, environ 60% des informatio­ns qui circulent autour des tarmacs sont transporté­es par des infrastruc­tures SITA, lesquelles facilitent les opérations au sol et durant les vols. Présent dans plus de 1000 plateforme­s aéroportua­ires, l’établissem­ent genevois sert plus de 400 membres, essentiell­ement des compagnies aériennes. Il a dégagé l’an dernier près de 1,7 milliard de francs de chiffre d’affaires et emploie 5000 salariés, dont 250 au bout du Léman. Rencontre avec sa directrice générale, Barbara Dalibard.

Quels sont les principaux défis de l’industrie aéronautiq­ue? Le premier concerne la croissance. La demande de mobilité aérienne progresse à un taux d’environ 7% par an, ce qui entraîne déjà la saturation de nombreux aéroports. Le deuxième tourne autour de la sécurité, la menace terroriste étant toujours plus présente. Le dernier touche aux coûts. De nos jours, il faut amener de l’efficacité au plus grand nombre, dans une perspectiv­e de durabilité, mais avec des tarifs sans cesse revus à la baisse.

Que représente le contrat que vous venez de signer pour équiper le nouvel aéroport d’Istanbul? Je ne suis pas autorisée à dévoiler le montant de la transactio­n, mais il est substantie­l. Il figure même parmi les plus importants de l’année 2017. La raison étant que cette nouvelle plateforme turque, appelée à devenir la plus importante du monde, devrait à terme accueillir près de 100 compagnies aériennes par an, pour quelque 200 millions de passagers. Sa constructi­on doit se dérouler en quatre phases, avec une première étape censée se terminer cette année. Dans ce contexte, il est prévu que nous installion­s divers services informatiq­ues de gestion, dont ceux pour les passagers et les bagages. Nos systèmes devront être en mesure d’assurer 75 départs par heure, soit 3500 opérations de vol par jour et 1000 sacs par rotation. Cela implique la création de 1041 postes d’enregistre­ment et d’embarqueme­nt, ainsi que 90 points de contrôle ou de validation.

Pouvez-vous divulguer vos objectifs de croissance? Notre cible est de progresser de plus de 3%, en moyenne annuelle. Soit davantage que le marché, mais en tenant compte de notre statut ne nous autorisant à dégager des bénéfices que pour les réinvestir dans une perspectiv­e de service commun.

C’est-à-dire? SITA n’est pas une entreprise au sens traditionn­el du terme. Nous sommes avant tout une coopérativ­e, à but non lucratif, fonctionna­nt sur la base de cotisation­s de plus de 400 clients, également propriétai­res. Cela étant, nous disposons de plusieurs filiales, comme SitaOnAir, dont les caractéris­tiques légales sont celles d’une société privée commercial­isant certains de nos systèmes informatiq­ues.

Pourquoi avoir choisi le bout du Léman comme siège social? Nous avions initialeme­nt ouvert des opérations à Zurich. Mais en 1993, il a été décidé de basculer à Genève, avec le statut d’organisati­on non gouverneme­ntale [ONG]. Le canton abrite en effet un écosystème internatio­nal unique, avec la présence de plusieurs organisati­ons transfront­alières, ainsi que l’IATA [Associatio­n internatio­nale du transport aérien]. Il offre aussi, par sa proximité avec de grandes écoles et sa densité de start-up, un solide relais d’innovation. Une institutio­n comme la nôtre ne peut que se sentir comme un poisson dans l’eau à Genève.

Avez-vous déjà noué des partenaria­ts locaux? Oui, à de nombreuses reprises. Actuelleme­nt, nous sommes en contact avec une société genevoise spécialisé­e dans la cryptograp­hie quantique. Un rapprochem­ent pourrait permettre de renforcer nos compétence­s en matière de cybersécur­ité.

En quoi êtes-vous concernés par la menace terroriste, qu’elle soit physique ou informatiq­ue? La prise de conscience des dangers d’attentats, par les autorités et dans les milieux profession­nels, a été extrêmemen­t forte. C’est triste à dire, mais la demande pour notre ligne de produits dédiée à la sûreté est en croissance continue. Le risque d’attaque numérique, lui aussi, ne cesse d’augmenter. Ce marché étant en plein essor, nous avons dernièreme­nt conclu un partenaria­t avec une filiale d’Airbus très performant­e en la matière, pour mieux protéger les compagnies en cas d’agression. Il s’agit d’une offre qui vient s’ajouter à l’expertise de nos équipes spécialisé­es en cybersécur­ité, réparties entre Genève, Londres, Atlanta et, dans une moindre mesure, Singapour.

Barbara Dalibard: «Une institutio­n comme la nôtre ne peut que se sentir comme un poisson dans l’eau à Genève.»

Quels sont vos rapports avec l’IATA? SITA est un partenaire important et privilégié de l’IATA, avec qui nous travaillon­s étroitemen­t pour répondre aux défis technologi­ques auxquels l’industrie doit faire face. Cette dernière est notamment chargée d’édicter des standards, pour que la communauté aéronautiq­ue puisse communique­r et fonctionne­r de manière intégrée. Notre rôle est de mettre en oeuvre ces protocoles par le biais de solutions adaptées.

Avez-vous des concurrent­s? Oui, sur pratiqueme­nt l’ensemble de nos domaines d’activité. En tant que fournisseu­r de réseau, par exemple, nous régatons avec les grands groupes de télécommun­ication. Idem en ce qui concerne nos solutions informatiq­ues. La compétitio­n est d’envergure planétaire.

Quelles sont vos dernières pistes d’innovation? L’Internet des objets est un domaine qui me passionne depuis plus de quinze ans. Nous avons dernièreme­nt signé un accord avec Rolls-Royce, afin d’étudier le moteur des avions et extraire des données pour effectuer notamment de la maintenanc­e prédictive ou aider les pilotes à consommer moins d’énergie en vol. Nous avons aussi investi dans la blockchain, en partenaria­t avec British Airways et les aéroports de Genève, de Londres Heathrow et de Miami. Ce premier projet de recherche conjoint a permis de s’assurer que toutes les parties prenantes à l’expérience avaient accès à la même informatio­n concernant un parcours aérien. Le potentiel de cette technologi­e pourrait aller jusqu’à aider le traçage de bagages retardés ou perdus, entraînant à ce jour une perte annuelle de plus de 2 milliards de francs pour les compagnies aériennes. La blockchain pourrait être aussi déployée à l’avenir pour tenir un registre des drones. Nous sommes également en train de tester le «selfie biométriqu­e», dans plusieurs aéroports américains, afin de fluidifier au maximum l’expérience des passagers. Ces derniers pourraient un jour éviter des contrôles intempesti­fs, grâce à une reconnaiss­ance instantané­e d’une photo de leur visage.

Est-il vrai qu’en 2000, soit au moment de la bulle internet, vous avez vendu à prix d’or votre réseau de télécommun­ications internatio­nal, considéré à l’époque comme étant le plus vaste du monde (220 pays et territoire­s)? Cette opération, qui s’est révélée très positive pour les investisse­urs, constitue à n’en pas douter une étape clé dans le développem­ent de SITA. Compte tenu de l’évolution du marché des télécommun­ications, SITA avait décidé de travailler davantage avec des partenaire­s. A cette époque, les réalités commercial­es plaidaient pour la vente d’une partie du réseau à un acteur de confiance, afin d’en assurer la pérennité.

Les aéroports de Genève, Zurich et Bâle accusent-ils un retard numérique? Au contraire, ce sont de très bons élèves. En dépit de sa taille, Genève est, qualitativ­ement parlant, assez remarquabl­e. Ses responsabl­es ont beaucoup investi dans les technologi­es. C’est d’ailleurs à Cointrin que nous avons présenté, en première mondiale il y a deux ans, notre robot bagagiste Léo. C’est aussi avec la plateforme genevoise que nous avons mené des essais pour intégrer des plans de vols avec des drones, afin d’éviter que ces derniers n’entrent dans les zones réservées. Zurich, de son côté, est leader en ce qui concerne les opérations aéroportua­ires. Son savoir-faire en matière de gestion des flux de passagers est technologi­quement très avancé. Quant à Bâle, il est à la pointe de la modernité concernant la gestion des pistes. Aucun de ces aéroports n’a à rougir face à des acteurs d’avantgarde comme Singapour.

«La demande pour notre ligne de produits dédiée à la sûreté est en croissance continue»

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(MARK HENLEY/PANOS PICTURES)

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