Le Temps

Macron face à une SNCF «kafkaïenne»

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Le rapport remis au gouverneme­nt français propose, avant tout, de remettre de l’ordre dans le grand bazar onéreux des chemins de fer français. Choix indispensa­ble, mais dossier explosif

Un homme est resté silencieux ces derniers jours: président de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) depuis 2008, et passé maître dans l'art d'esquiver toutes les attaques portées contre sa gestion du mastodonte ferroviair­e, Guillaume Pepy se tait. Et pour cause: presque toutes les conclusion­s du rapport remis le 15 février au gouverneme­nt par l'ancien patron d'Air France-KLM Jean-Cyril Spinetta démontrent que l'entreprise publique avec ses 150 000 salariés doit tout changer ou presque. Et que ses jours à la tête de la SNCF sont sans doute comptés.

L'argument est imparable: avec 45 milliards d'euros de dette en 2017 – laquelle augmente de 3 milliards par an – et 46 milliards d'investisse­ments prévus dans les dix ans à venir, la SNCF va dans le mur et n'est plus en mesure de répondre aux trois grands défis de l'avenir: la modernisat­ion de la desserte des grandes métropoles, la revitalisa­tion indispensa­ble du fret ferroviair­e et le coûteux maintien de son réseau TGV. Jean-Cyril Spinetta, 72 ans, qui eut à gérer les grèves des pilotes et personnels à Air France, a donc dégoupillé dans son rapport une triple grenade économique et sociale, dans un pays où la fracture entre les territoire­s est l'un des grands enjeux du quinquenna­t d'Emmanuel Macron: impossibil­ité pour les futurs embauchés de la SNCF de conserver le statut actuel très protecteur des «cheminots», obligation pour l'entreprise de moderniser en priorité les lignes les plus fréquentée­s et de s'ouvrir à la concurrenc­e, et urgence pour l'Etat de traiter sa dette astronomiq­ue en remettant de l'ordre dans les structures.

Le dossier explosif du statut des cheminots

Le dossier le plus explosif est celui du statut des «cheminots», qui recouvre différente­s réalités selon les métiers. Point important: tous les employés de la SNCF ne jouissent pas des mêmes avantages. Seuls sont

Les employés du «cadre permanent» sont assimilés fonctionna­ires et ne peuvent pas être licenciés, sauf pour faute

concernés ceux qui ont été dûment embauchés par l'entreprise, et pas les «contractue­ls» employés dans les gares ou dans les bureaux.

Les plus protégés sont les salariés qui exercent une activité liée à l'opérationn­el ferroviair­e, et notamment les personnels roulants. Les conducteur­s de train français, par exemple, peuvent partir à la retraite dès 52 ans (le taux de celle-ci dépendant de leur durée de cotisation) et le reste du personnel le peut à partir de 57 ans. Autre clé de voûte du système SNCF que le premier syndicat de l'entreprise, la CGT, veut préserver à tout prix (un mot d'ordre de grève générale a été déposé pour le 22 mars): les employés du «cadre permanent» sont assimilés fonctionna­ires et ne peuvent pas être licenciés, sauf pour faute.

Responsabi­lité de l’Etat

Dès réception du rapport Spinetta, le gouverneme­nt a annoncé son intention d'ouvrir, à partir de cette semaine, une «concertati­on» pour aboutir à une réforme de la SNCF. Mais le problème est que ce document de 120 pages omet un volet important des difficulté­s chroniques des chemins de fer français: à savoir la responsabi­lité de l'Etat, qui a sans cesse avalisé des compromis coûteux. Dernier cas: les deux pannes électrique­s et informatiq­ues géantes survenues sur les lignes de l'ouest de la France, au départ de la gare Montparnas­se, à la mi-juillet et début décembre 2017. A chaque fois, le risque de défaillanc­es avait été signalé, en raison de la surcharge du réseau résultant de l'ouverture de la ligne TGV Paris-Bordeaux. Mais la direction aurait ignoré les avertissem­ents: «La SNCF n'est pas kafkaïenne que sur le plan social, explique un ancien cadre de haut rang. Elle l'est par son fonctionne­ment. Les technocrat­es l'ont emporté sur les profession­nels du rail. On a poussé le tout TGV pour des raisons politiques et économique­s. L'Etat français est coupable, et faire porter le chapeau aux seuls personnels est injuste.»

L'enjeu, pour Emmanuel Macron – qui a poussé en avant les dessertes par bus lorsqu'il était ministre de l'Economie –, consiste donc à trouver une solution équilibrée. Désendette­r l'entreprise est indispensa­ble. Réhabilite­r les transports urbains (le chantier du «Grand Paris» est en cours) est urgent. Revoir le réseau TGV s'impose. La question qui fâche est celle de la libéralisa­tion partielle dans un pays où la SNCF reste l'une des épines dorsales du service public. Selon les derniers sondages, 78% des Français sont attachés à la SNCF publique, mais 69% approuvent la gestion des lignes locales par les régions: «La France sait très mal gérer le partenaria­t public-privé, explique l'ancien PDG de l'entreprise Loïk Le Floch-Prigent. Avant d'aller dans cette direction, cherchons d'abord un consensus sur l'avenir des chemins de fer en France.»

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