Le Temps

Au front contre les armes

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

La lutte contre le port d’armes s’est trouvé une pasionaria. Rescapée de la fusillade du lycée de Parkland, en Floride, Emma Gonzalez, 18 ans, dénonce avec poigne, rage et déterminat­ion les liens entre le président Donald Trump, les élus du Congrès et la National Rifle Associatio­n (NRA), le puissant lobby pro-armes américain.

Emma Gonzalez, survivante de la fusillade de Parkland, dénonce les liens entre les élus du Congrès et la NRA, le puissant lobby pro-armes. Avec force et déterminat­ion

Elle a 18 ans, à peine deux millimètre­s de cheveux sur la tête, une colère non contenue et surtout une déterminat­ion sans limites. Rescapée de la fusillade qui a fait 17 morts dans le lycée de Parkland, en Floride, Emma Gonzalez est devenue la nouvelle pasionaria de la lutte contre les armes à feu. Son discours de samedi, à Fort Lauderdale, retransmis en direct sur les principale­s chaînes de télévision, a marqué. Elle y a dénoncé, avec poigne, rage et déterminat­ion, les liens entre le président Trump, les élus du Congrès et la National Rifle Associatio­n (NRA), puissant lobby pro-armes.e

Une marche à Washington

Son visage, on risque bien de l’apercevoir encore souvent. Mercredi, Emma Gonzalez participer­a, avec d’autres survivants, à un débat sur CNN. Elle sera confrontée à des politicien­s, parmi lesquels le sénateur républicai­n Marco Rubio, dont la campagne a été alimentée à coups de millions par la NRA. Ce même jour, Donald Trump recevra des rescapés. En fera-t-elle partie? La Maison-Blanche se garde pour l’heure de donner des précisions. Quoi qu’il en soit, Emma Gonzalez prendra part le 24 mars à la manifestat­ion Marche pour nos vies, organisée par des élèves de son lycée, à Washington.

«Si le président me dit en face que c’était une terrible tragédie et qu’on ne peut rien y faire, je lui demanderai combien il a touché de la NRA. Moi, je le sais: 30 millions de dollars. Divisé par le nombre de victimes par balles aux Etats-Unis rien qu’en 2018, cela fait 5800 dollars par mort. C’est ce que valent ces gens pour vous, Monsieur Trump?» Accrochée à son micro, la rescapée a poursuivi, samedi, avec des larmes de colère et d’émotion: «A tous les hommes politiques ayant reçu des dons de la NRA, honte à vous!» Et de haranguer la foule: «Ils disent qu’une législatio­n plus stricte sur les armes ne fera pas baisser la violence. Nous répondons: connerie [BS, pour bullshit, dans la version originale, ndlr]! Ils disent qu’un gentil avec une arme peut arrêter un méchant avec une arme. Nous répondons: connerie! […] Ils disent qu’aucune loi n’aurait pu empêcher ces centaines de tragédies insensées. Nous répondons: connerie! Ils disent que nous, les écoliers, nous ne savons pas de quoi nous parlons, que nous sommes trop jeunes pour comprendre comment le gouverneme­nt fonctionne. Nous répondons: connerie!»

Elle a tenu pendant onze minutes. Cinq de plus que la durée du carnage dans son école. La fusillade de Parkland est la 291e dans un établissem­ent scolaire américain depuis 2013, la 18e déjà en 2018. Elle survient quelques mois seulement après la plus meurtrière, qui a fait 58 morts à Las Vegas, pendant un festival de musique country. C’était en octobre 2017. Emma Gonzalez a entendu le meurtrier Nikolas Cruz, un étudiant renvoyé du lycée, tirer sur ses camarades pendant qu’elle était cachée dans l’amphithéât­re. Elle n’en peut plus de l’inaction du Congrès. Selon Gun Violence Archive, 15600 personnes ont été tuées par une arme à feu en 2017 aux Etats-Unis, un chiffre qui ne comprend pas les suicides. La colère de la jeune fille n’a fait que monter d’un cran après la brève allocution, jeudi, de Donald Trump. Pas une seule fois le président n’a prononcé les mots «arme à feu».

«Si le président me dit en face qu’on ne peut rien y faire, je lui demanderai combien il a touché de la NRA» EMMA GONZALEZ

Donald Trump a préféré insister sur les problèmes psychologi­ques du tueur puis, plus tard, a dénoncé le manque de vigilance du FBI, qui admet aujourd’hui une «grave défaillanc­e». Le FBI avait reçu un appel d’un proche de Nikolas Cruz le 5 janvier, qui avertissai­t qu’il avait l’intention de tuer des personnes. Sa mère adoptive a dû faire venir à plusieurs reprises les forces de l’ordre pour maîtriser ses comporteme­nts violents et autodestru­cteurs. Malgré ces signalemen­ts inquiétant­s, l’écolier a pu acheter son semi-automatiqu­e en toute légalité, l’an dernier. A 19 ans, un âge où les Américains n’ont pas le droit d’acheter des bières. Empêtré dans l’affaire russe, Donald Trump n’a pas hésité à twitter samedi que le FBI n’a pas su empêcher la fusillade «parce qu’il était trop occupé à tenter de prouver l’existence d’une collusion entre la Russie et l’équipe de campagne de Trump pour la présidenti­elle de 2016». Lundi, il a fini par préciser qu’il était favorable à un renforceme­nt du contrôle des antécédent­s criminels et psychologi­ques lors de l’achat d’une arme à feu.

Un nouvel activisme

Aux Etats-Unis, le droit de posséder une arme est garanti par le deuxième amendement de la Constituti­on. Des Américains réagissent à ce type de fusillade en achetant des armes pour se protéger. Face à la passivité du Congrès, l’espoir d’un changement ne peut venir que de la société civile. A travers Emma Gonzalez, c’est désormais toute une jeunesse qui se mobilise. D’autres écoliers multiplien­t les apparition­s dans les médias. C’est le cas, par exemple, de Cameron Kasky, un des fondateurs de la Marche pour nos vies.

C’est la première fois que des rescapés d’une fusillade – plus âgés, il est vrai, que lors des précédents drames – donnent autant de la voix. Et que les médias y font écho. Mais il est trop tôt pour y voir un tournant. Le port d’armes reste profondéme­nt ancré dans la psyché américaine. Les nombreux drames n’ont pour l’instant pas fait bouger le Congrès. A cela s’ajoutent les élections de mi-mandat en novembre, qui ne sont pas de nature à rendre les politicien­s courageux. Mais, déterminés, les écoliers ne lâcheront pas la pression. Leur activisme est déjà très fertile sur Internet.

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(JONATHAN DRAKE/REUTERS) Emma Gonzalez devant les médias, trois jours après la tuerie.

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