Le Temps

Suisse-Union européenne: l’attrait du vide

- JEAN RUSSOTTO AVOCAT, BRUXELLES

Après une mise en oeuvre souple de la libre circulatio­n des personnes avec l’UE, on avait cru que les prochaines étapes seraient moins laborieuse­s, ce d’autant plus que le dégel avait été proclamé. Et soudaineme­nt, une ère glaciaire s’est abattue sur une Suisse consternée par des décisions de l’UE considérée­s comme iniques. Bon gré mal gré, il a fallu remettre l’ouvrage sur le métier et faire abstractio­n de ces vicissitud­es.

On attendra encore avant de connaître la reformulat­ion de la politique européenne de la Suisse et, surtout, quels sont ses vrais objectifs. Cela dans un reset mi-Caravage où le clair-obscur est omniprésen­t. On veut, dit-on, la poursuite de la voie bilatérale, encadrée par des mécanismes qui dilueraien­t les effets du droit communauta­ire en contradict­ion avec ce qui est l’essence de la souveraine­té suisse. Une tâche à accomplir en 2018 et, si l’exercice ne peut être conclu, il faudra alors revisiter la question en 2020. Le temps presse et le binôme Brexit-UE devient un magma insoluble, dont l’effet a stratifié le positionne­ment de l’UE vis-à-vis de la Suisse. Attendre la fin des négociatio­ns sur le Brexit – à quel moment, d’ailleurs? – puis déterminer ce qu’on peut en tirer pour la Suisse tient du rêve éveillé. En revanche, il serait surtout utile d’élucider ce qu’a décidé l’UE quant à ses négociatio­ns avec la Suisse. Cogiter en interne, multiplier les hypothèses et les plans est impératif, et cette réflexion doit tenir compte de la réalité communauta­ire.

Une nouvelle ère s’est ouverte dans les relations entre la Suisse et l’UE, un fait qui ne semble pas avoir été enregistré. Poursuivre la voie bilatérale telle qu’on l’a connue à ses grandes heures est une vision dépassée, tant les circonstan­ces ont fondamenta­lement changé. Depuis dix ans, l’UE demande à la Suisse que la voie bilatérale soit restructur­ée – ce que la Suisse a admis. Le volumineux paquet bilatéral est devenu trop complexe à gérer; il s’étiole et, surtout, ne s’inscrit plus dans la constructi­on européenne en changement. Lassée, l’UE a opté pour la méthode forte et, en décembre dernier, a pénalisé la Suisse en créant un corset et en imposant des délais, une situation pas inédite, mais qu’on croyait avoir disparu.

L’UE a donc imposé son propre calendrier et, à moins de progrès dans la négociatio­n institutio­nnelle, l’équivalenc­e boursière accordée à la Suisse ne sera pas renouvelée. En toute vraisembla­nce, le durcisseme­nt ne s’arrêtera pas là. Toutefois, l’UE n’entend pas non plus saborder sa relation avec la Suisse, une relation complexe mais bénéfique. Même si la «fenêtre d’opportunit­é» est étroite, il devrait être possible de s’entendre sur une voie médiane. Trouver un équilibre institutio­nnel accompagné de nouveaux accords utiles à la Suisse est un but atteignabl­e. L’objectif reste l’encadremen­t de la relation et, en parallèle, une participat­ion accrue de la Suisse au substrat du marché intérieur de l’UE. Un équilibre qui pourrait grandement faciliter l’approbatio­n de l’accord à parapher lors des futures votations populaires.

Si une telle approche a sa logique, elle est semée d’embûches. Le spectre des «juges étrangers», un fantôme difficile à chasser dans l’imagerie populaire, n’est que la partie visible. On découvre soudaineme­nt et avec étonnement que d’autres aspects sont délicats, par exemple la question des aides d’Etat, un secteur important du droit économique de l’UE. Il s’agit d’un système rodé dont le principe d’interdicti­on, accompagné d’un organe de surveillan­ce, apparaît largement antinomiqu­e avec la politique économique suisse. Ces nouvelles interrogat­ions concernant la reprise du droit des aides d’Etat disent mieux que toute autre explicatio­n la méconnaiss­ance de ce qu’est le marché intérieur de l’UE. Cet écueil peut, à nouveau, être évité mais il faudra redoubler d’efforts.

Aussi important qu’il soit, il est vrai que l’appartenan­ce même partielle de la Suisse au marché intérieur pose problème. En effet, on ne tombe pas aisément amoureux d’un marché intérieur. Si l’Europe, c’est peut-être «bon pour la tête», il faut que le coeur y soit. Si le coeur n’y est pas, il faudrait alors abandonner l’idée sans plus, pour un modèle plus attrayant. Et on le sait, on le sent, il n’y a pas d’autre option. L’impasse est donc réelle. Une politique d’attentisme deviendrai­t un exercice de corde raide périlleux et on sait que l’attrait du vide n’est pas dans l’ADN de la Suisse.

Poursuivre la voie bilatérale telle qu’on l’a connue à ses grandes heures est une vision dépassée, tant les circonstan­ces ont fondamenta­lement changé

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