Négoce des matières premières: la Suisse doit jouer la transparence
La Suisse est un petit pays, mais elle joue un rôle central pour les pays en développement en tant que première place mondiale du négoce de matières premières. Selon les estimations, plus d’un tiers du pétrole brut vendu dans le monde est négocié par des sociétés helvétiques.
Lorsqu’un négociant achète du pétrole ou des minerais à un gouvernement, il est impératif que ces transactions soient transparentes, car ces ressources naturelles appartiennent à la population. Les ventes de pétrole et de gaz sont les principales sources de recettes publiques d’Etats comme l’Angola ou le Nigeria.
L’organisation que je préside, le Natural Resource Governance Institute, lutte contre «la malédiction des ressources», soit le fait que les pays riches en ressources naturelles comptent parmi les plus pauvres de la planète, en raison d’une faible gouvernance et d’une corruption endémique. Accroître la transparence dans ce secteur opaque constitue l’un des premiers moyens d’y remédier. La transparence renforce l’obligation des gouvernements de rendre des comptes et permet de lutter contre la corruption. Mes propres recherches ont montré que les pays qui prennent de telles mesures peuvent, à long terme, tripler leur revenu par habitant.
Ces dix dernières années, la transparence dans le secteur des matières premières a été améliorée grâce à une combinaison d’initiatives lancées par les pays d’origine des ressources naturelles (telle l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives, l’ITIE) et de lois édictées par les pays où les sociétés de ce secteur ont leur siège.
Le Canada, l’Union européenne ainsi que la Norvège obligent les sociétés qui y sont domiciliées à publier les paiements effectués aux gouvernements du monde entier du fait de leurs activités extractives. Des centaines de firmes, comme BP, Shell et Total, ont publié le détail de tels paiements, pour une somme totale de plus de 300 milliards de dollars. Ces informations contribuent à améliorer la gouvernance des pays producteurs.
Les ventes entre Etats (normalement les compagnies pétrolières nationales) et négociants internationaux constituent la part la plus importante – et la plus opaque – des recettes publiques des pays producteurs liées aux matières premières. Or, jusqu’à présent, les lois sur la transparence des paiements ne s’appliquent pas aux opérations de négoce; elles ne concernent que les revenus provenant des activités de production (impôts, licences, etc.).
La publication des paiements effectués par les négociants aux gouvernements pour l’achat de matières premières est une nécessité. A ce jour, seule Trafigura a décidé de les publier sur une base volontaire. En 2016, le montant total des paiements effectués par le négociant suisse aux Etats s’élevait à 21,2 milliards de dollars, soit 40% de plus que ce que Shell a versé pour extraire son pétrole.
L’exemple de Trafigura montre deux choses. D’une part, qu’il est tout à fait possible pour les négociants de publier de telles données, même si aucune autre société ne lui a emboîté le pas. D’autre part, 90% des versements de Trafigura concernent des pays qui n’ont pas adhéré à l’ITIE. Cette dernière ne peut donc pas résoudre seule le défi posé par l’opacité des flux liés à la commercialisation de matières premières étatiques. Il est essentiel que les Etats où de telles sociétés ont leur siège exigent qu’elles rendent publics les paiements effectués à des gouvernements pour l’achat de matières premières.
La Suisse a l’opportunité d’agir: la Commission des affaires juridiques du Conseil national se prononcera bientôt sur des règles de transparence pour les sociétés suisses de matières premières. Les activités de négoce doivent être incluses dans cette loi. Ne pas couvrir de telles transactions reviendrait pour la Suisse à adopter une législation dépourvue d’effets concrets.
La Suisse n’a rien à craindre d’une loi qui inclurait le négoce. D’autres places, comme la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas, se sont déjà engagées à davantage de transparence dans ce domaine. Deuxième plus grand centre de négoce au monde, la Grande-Bretagne étudie comment elle pourrait intégrer ces opérations aux dispositions qui y règlent déjà la transparence des paiements extractifs. Et fin janvier, l’OCDE a tenu une conférence dédiée à cette question. La Suisse ne serait pas isolée si elle agissait; d’autres pays suivraient son exemple.
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La Suisse ne serait pas isolée si elle agissait; d’autres pays suivraient son exemple