Le Temps

A la Ghouta, les mots de trop

- LUIS LEMA @luislema

Les mots sont de trop. L’Unicef, qui s’occupe des enfants défavorisé­s un peu partout sur la planète, a publié mardi un communiqué entièremen­t blanc. «Aucun mot ne rendra justice aux enfants tués» en Syrie, ni à leurs proches, se contentait de dire l’organisati­on.

L’horreur qui s’abat en ce moment même sur les habitants de la Ghouta orientale, à la lisière de Damas, est devenue proprement innommable. Et ce, non seulement parce que les enfants et leurs proches y perdent la vie, mais surtout à cause du cynisme et de l’incroyable mépris qui entoure cette mise à mort programmée.

Oui, les mots sont de trop. Et du reste, personne ne les entend vraiment, tant ils participen­t de cette insulte générale. La Russie qui, jusqu’à hier, était censée se porter «garante» d’une sorte de cessez-le-feu dans cette région proclamée «zone de désescalad­e»? Aujourd’hui, ses forces collaboren­t activement au massacre, sous prétexte, une fois de plus, qu’il s’agit de «traquer les terroriste­s» tapis parmi les quelque 400000 habitants qui peuplent la Ghouta. La France d’Emmanuel Macron, pour ne prendre qu’elle? Elle se perd encore en conjecture­s sur la réalité d’une série d’attaques chimiques commises récemment par le régime syrien, en attendant, avant de «frapper», que «la preuve soit clairement établie».

La preuve que cherchaien­t le gouverneme­nt syrien et la Russie a, de fait, bel et bien été établie. Mais elle est autre: le carnage peut se poursuivre et, quelles que soient les «lignes rouges» franchies, personne ne bougera pour venir en aide aux habitants de la Ghouta orientale. Il y a un peu plus d’un an, on pensait que le bombardeme­nt d’Alep-Est allait peut-être devenir celui de trop. Ce n’était en réalité qu’un prélude. Dans les différente­s guerres, locales, régionales, internatio­nales, qui se déroulent ou se préparent aujourd’hui sur le territoire syrien, le martyre de la Ghouta est une sorte de retour à un scénario déjà largement éprouvé.

Les hôpitaux et les centres de soins bombardés de manière systématiq­ue; la population civile prise directemen­t pour cible au terme d’un siège de quatre ans qui l’a déjà affamée; le désespoir absolu et la mort présentés comme seule issue… C’est exactement le même enchaîneme­nt qui avait conduit à la chute d’Alep-Est.

A l’exception près que, ici, il n’est même plus question de précaution­s oratoires ou de dénégation­s, même vagues, sur l’usage de barils de poudre ou d’autres armements prohibés, ni de prétextes à l’évacuation des blessés. Comme si tout cela allait désormais de soi. «Nous allons recommence­r l’expérience qui a permis de libérer Alep», a clairement prévenu le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov. Les mots de trop.

Il y a un peu plus d’un an, on pensait que le bombardeme­nt d’Alep-Est allait peut-être devenir celui de trop. Ce n’était qu’un prélude

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