Le Temps

La boîte aux lettres devant chez moi

- AÏNA SKJELLAUG @AinaSkjell­aug

Parfois j’aime regarder la vie passante comme s’il s’agissait d’un film. Avec de la musique dans les oreilles, c’est plus facile, mais on peut le faire aussi n’importe quand, il suffit de mettre entre soi et le monde un petit filtre imaginaire. Ou des bandes noires comme sur un écran de cinéma, c’est selon.

Il y a cette boîte aux lettres juste devant chez moi. Une caisse jaune à laquelle les gens du quartier rendent visite, parfois en laissant le moteur de leur voiture tourner, parfois à pied, accompagné­s de leur chien ou de leur petitefill­e. Vous me direz que ça n’a rien d’excitant, mais j’adore les regarder et imaginer l’histoire qu’ils sont en train de raconter. Celui-ci en rentrant ce soir va se faire reprendre par sa femme: «Tu as bien posté la lettre?» L’autre dépose son bulletin de vote en ayant bien suivi les recommanda­tions du parti auquel se fiaient déjà ses parents. En fait je pourrais faire ça toute la journée, regarder les gens et essayer de comprendre ce qu’ils vivent.

Je sais qu’on est à longueur de temps entouré d’histoires qui ne demandent qu’à être explorées, que c’est même l’une des choses les plus merveilleu­ses qu’offrent les villes, où l’on est tous agglutinés. Alors qu’on fait souvent le contraire, en essayant de se croire seul, protégé dans une petite bulle, bien qu’entouré de dizaines de milliers de personnes qui nous bousculent.

A la fin de mes cours de yoga, on nous demande de faire le vide et de se recentrer sur soi, mais je préfère imaginer ce à quoi mes voisins pensent, où ils courront dès que la pratique sera terminée. «Dieu est un formidable metteur en scène: il laisse croire à chacun sur terre qu’il détient le rôle principal», avais-je lu un jour sur une de ces cartes postales de citations au détour d’une librairie.

Il faut sans doute une vie pour comprendre que c’est l’inverse. Il n’y a pas de rôle principal. Juste des gens qui se débattent et tentent d’attraper des moments de bonheur, des instants où partager quelque chose: un serment, la couleur du ciel à l’aube, un rendez-vous heureux. Je crois qu’apprendre à ne pas être seul est un chemin, une manière d’ouvrir les portes de possibles. Devant moi, le facteur passe, pressé, ouvre la boîte, ramasse le courrier. Je me penche pour regarder. Des lettres administra­tives. Des factures impersonne­lles. Parmi elles, une enveloppe manuscrite. Alors je me remets à rêver, ce doit être une missive dans laquelle des gens rêvent de se revoir et de s’aimer.

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