A Neuchâtel, un hôpital double qui suscite le malaise
L’heure de mettre en oeuvre l’initiative pour deux hôpitaux autonomes a sonné. Un rapport du Conseil d’Etat montre que l’opération est plus que risquée
C'est l'avant-projet d'un rapport du Conseil d'Etat neuchâtelois qui ne dit pas vraiment son nom. Son but est de mettre en oeuvre l'initiative «Pour deux hôpitaux sûrs, autonomes et complémentaires», que le peuple neuchâtelois a approuvée le 12 février 2017. Le problème? Celle-ci est si difficile à mettre en oeuvre que l'on perçoit un gouvernement qui n'est pas franchement convaincu de la voie choisie.
«L'entrée dans cette nouvelle ère hospitalière est complexe, coûteuse, consommatrice de ressources et risquée.» A elle seule, cette phrase, tirée des conclusions du rapport, traduit le doute vertigineux qui s'empare du Conseil d'Etat et de son ministre de la santé Laurent Kurth. Il est vrai que celui-ci n'a pas le choix. L'an dernier, la population a certes dit oui à son contre-projet, mais elle lui a préféré l'initiative qui veut maintenir un hôpital de soins aigus à La Chauxde-Fonds, la troisième ville de Suisse romande.
A fin mars, le Conseil d'Etat transmettra son rapport définitif au Grand Conseil, qui en débattra en juin. Celui-ci doit d'une part avaliser une nouvelle loi sur les hôpitaux publics pour mettre en oeuvre l'initiative, et d'autre part approuver trois crédits: 4 millions pour la conduite du projet, 34 millions pour la reprise de l'hôpital de La Chauxde-Fonds, et enfin 200 millions pour la reprise de la dette de HNE, l'hôpital cantonal multisite actuel.
Doublons et surcoûts
La tâche s'annonce ardue, car l'initiative implique de scinder l'Hôpital neuchâtelois, ce qui va à l'encontre de toute la politique fédérale actuelle. Pas plus tard qu'en octobre dernier, un groupe d'experts mandaté par le conseiller fédéral Alain Berset a prôné la mise en place de planifications hospitalières à l'échelle supracantonale pour «éviter des surcapacités onéreuses» dans le secteur hospitalier stationnaire.
Or, c'est bien ce qui risque de se produire dans le canton de Neuchâtel. Il faudra doubler des postes, au niveau tant médico-soignant qu'administratif. Entre 30 et 50 postes dans un premier temps, et peutêtre une quinzaine de plus si les deux hôpitaux ne parviennent pas à mutualiser suffisamment leurs services. Soit des coûts supplémentaires de 5 à 10 millions par an. Sans parler d'un surcoût de 3,5 millions pour l'ouverture des blocs opératoires 24 heures sur 24. Une chose est d'ores et déjà sûre: l'une des promesses des initiants, à savoir que «deux sites de soins aigus sont moins onéreux qu'un hôpital unique», ne pourra pas être tenue.
Concurrence du privé
Pourtant, c'est sur le plan des missions que le débat sera probablement le plus houleux. Dans son rapport, le groupe de travail qui avait été mis sur pied au lendemain de l'approbation de l'initiative avait suggéré une répartition de 40% pour les Montagnes et de 60% pour le Littoral. Le Conseil d'Etat ne le cache pas: cette proposition lui paraît «peu réaliste» en raison «des nécessités en termes de volumes qui limitent fortement la scission de certaines activités en deux, sous peine d'en voir une partie abandonnée dans le canton».
Concernant le calendrier, il est prévu que l'Hôpital des Montagnes soit complètement opérationnel en 2020. Cet objectif sera difficile à tenir, surtout si un référendum – très probable – devait remettre en cause les décisions du Grand Conseil.
Alors que de grosses incertitudes continuent de peser sur l'avenir du secteur public, le privé marque son territoire. En l'espace de quelques semaines, deux nouvelles permanences médicales se sont ouvertes en ce début d'année. Les deux acteurs privés que sont Volta-La Tour et Montbrillant (du groupe Swiss Medical Network) se rappellent au bon souvenir des Chaux-de-Fonniers en améliorant leur offre.
Non seulement la concurrence du privé fragilise la position de l'hôpital public, mais elle risque aussi de créer une situation pléthorique. Les Montagnes comptent huit blocs opératoires, soit un pour 7000 habitants, contre un pour 12000 à 15000 habitants dans le Jura, à Fribourg et en Valais. Président de la Société neuchâteloise de médecine, Walter Gusmini se montre tantôt rassurant, tantôt inquiet: «Il y a du travail pour tout le monde si nous parvenons à rester complémentaires dans l'offre. Mais il est vrai que le rapport du Conseil d'Etat met au jour un certain nombre d'écueils qui n'avaient pas été évoqués avant la votation de 2017.»
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Les Montagnes comptent huit blocs opératoires, soit un pour 7000 habitants, contre un pour 12000 à 15000 habitants dans le Jura, à Fribourg et en Valais